Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 75.djvu/617

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus tard ses mémoires et en préparât ainsi de loin les élémens, soit qu’au milieu d’une existence pleine de trouble et semée de désillusions souvent amères il voulût se réserver quelques minutes de recueillement, ou qu’il obéît simplement à une dangereuse habitude de réflexion qui est l’envers de ce caractère léger ; ces notes, retrouvées dans les papiers de M. Varnhagen d’Ense après sa mort et publiées en 1861 par la nièce de celui-ci, Mlle Ludmilla Assing, ont jeté un jour assez indiscret, mais précieux, sur Gentz, sur les personnages qu’il a connus et sur divers incidens de l’histoire contemporaine. Ce n’est pas tout encore. Un des traits de cette nature complexe est un besoin d’expansion d’autant plus grand qu’elle semblait condamnée par son rôle à plus de contrainte ; on dirait que cette âme inquiète, cet esprit tourmenté, ne trouvaient une sorte de repos qu’en se communiquant. Il y a peu de correspondances aussi vastes et aussi variées que celle de Gentz. Ce que nous possédons de ses lettres permet de l’observer jusque dans les plus intimes replis de son cœur et à travers toutes ses phases depuis sa jeunesse jusqu’à ses derniers jours. L’année dernière encore, un personnage autrichien qui a occupé de grandes positions diplomatiques, M. le baron de Prokesch-Osten, maréchal de l’empire, publiait deux volumes renfermant, avec divers documens inédits, un certain nombre de lettres écrites de 1828 à 1831, à la veille et au lendemain d’une crise européenne, par F. de Gentz à M. Salomon de Rothschild, c’est-à-dire par un des hommes les plus au fait des secrètes démarches de la diplomatie à l’un des plus directement intéressés à les connaître. Enfin les derniers mois ont vu paraître le recueil très considérable à tous les points de vue, par le nombre, la valeur littéraire, l’importance politique, des lettres écrites de 1811 à 1832 par Gentz à M. Joseph de Pilat, mort à Vienne il y a deux ou trois ans. Pilat était le rédacteur en chef de l’Observateur autrichien ; c’est par ce journal, où il ne dédaignait pas d’écrire lui-même, que M. de Metternich se mettait en contact avec l’opinion publique. Si M. de Metternich était le maître du journal, Gentz en était l’inspirateur quotidien ; il avait d’ailleurs en Pilat, plus jeune que lui de plusieurs années, un admirateur dévoué, heureux de recevoir sa direction et même ses semonces, avec lequel il s’ouvrait librement de ses pensées les plus secrètes. Il n’existe pas de document qui fasse pénétrer plus avant la lumière dans la politique de la restauration, et cette correspondance est une occasion toute naturelle de revenir, en étudiant la figure de Gentz, sur une des époques les plus vivantes du XIXe siècle.

On peut observer dans les écrits et la correspondance de Gentz le contre-coup des événemens qui composent notre histoire depuis 1789 ; on y retrouve la plus fidèle image des idées et des passions