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l’abaissement de sa rivale, et Gentz put juger, aux difficultés qui arrêtèrent longtemps la publication de son travail, du peu d’écho que ses idées trouvaient autour de lui.

La politique qu’il soutenait était celle de l’Angleterre et de l’Autriche, non de la Prusse. Il n’est pas sûr que le Journal historique n’eût pas été, du moins en partie, fondé précisément pour le mettre à même de se rendre utile aux gouvernemens de ces deux pays. Toujours est-il qu’en adressant au ministre d’état de l’empire, le baron de Thugut, les premières livraisons du recueil, il ne se contente pas de protester de son inébranlable dévouement aux principes sacrés de l’ordre civil ; il salue le ministre autrichien des titres de premier homme d’état de l’Europe et de grand esprit, il lui prodigue des flatteries trop ridiculement excessives pour être désintéressées. En même temps ses réponses aux attaques de Fox, de Mackintosh, d’Erskine, contre Pitt et contre la guerre, sont empreintes d’une vivacité et accentuées avec une force où l’on reconnaît bien moins le ton d’un admirateur réfléchi de la politique anglaise que celui d’un preneur attitré du ministère. Il est évident que dès cette époque Gentz est entré, pour n’en plus sortir, dans la catégorie des écrivains politiques dont les gouvernemens rétribuent les services. On sait en effet qu’il reçoit déjà de l’empereur d’Autriche et du ministère anglais de larges subventions. Plusieurs biographes allemands de Gentz essaient à ce sujet en sa faveur de bien vaines apologies. Il y a, si l’on veut, une différence entre l’écrivain qui se charge moyennant salaire de soutenir une politique et des idées conformes à ses convictions personnelles et la plume sans pensée qui se livre au plus offrant et passe impudemment avec la fortune d’un parti à l’autre. La politique dont il a été l’interprète et l’avocat était celle où le portaient non-seulement son intérêt, mais ses réflexions, son tempérament et les influences qu’il avait subies de bonne heure ; en un mot, les idées qu’il exprime si vivement étaient jusqu’à un certain point les siennes, et tout n’est pas joué dans l’ardeur qu’il met à les servir. Néanmoins on voit que sa plume était enchaînée dans une certaine direction et cela suffit. D’ailleurs entreprendre la défense d’une cause rétrograde, se jeter en volontaire dans le parti qui profite des abus, où sont les richesses et l’élégance, en épouser les opinions, les préjugés, les idées, c’est le moyen presque sûr, pour qui n’est pas tout à fait incapable de les servir, de se faire admettre dans les classes privilégiées, et de réparer par l’espèce d’adoption dont elles croient honorer le talent ce qui lui manque du côté de la naissance. On ne s’attache pas d’abord à leur, cause uniquement par là, mais on s’y laisse entraîner par d’irrésistibles séductions, au point d’être bientôt incapable de progrès, aveugle à la lumière, et tandis qu’on se flatte de ne rien