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Ce n’est donc pas là, chez nous, le genre d’écueils que nous craignons pour lui. Nous supposons plutôt qu’auprès de bien des gens il aura peine à se faire pardonner la liberté très grande qu’il prend au sujet de la Bible, ne faisant pas le moindre effort pour mettre à tout propos les monumens et les inscriptions en contradiction apparente avec elle, cherchant plutôt les concordances et se félicitant de les trouver si manifestes et si nombreuses. C’est là, dit-on,-grâce au vieux préjugé qui veut absolument faire de la science et de la foi deux irréconciliables ennemies, c’est là manquer de liberté d’esprit et déserter la science ! Il est vrai qu’un autre préjugé tout aussi raisonnable pourrait bien menacer l’auteur et son savant manuel. Il y a certains croyans qui s’effaroucheront peut-être de le voir, par respect pour des faits pertinens et d’invincibles preuves, hasarder sans hésitation certaines assertions soi-disant téméraires et n’en chercher la concordance avec le texte sacré que dans une saine interprétation, admettant, comme Cuvier, par exemple, que la Genèse, en son langage figuré, ne doit pas être prise à la lettre, et que les jours dont elle nous parle sont des périodes séculaires composées de milliers données.

Nous ne demandons pas d’autre preuve de la bonne direction, de la voie juste et droite adoptée par le jeune écrivain, que ces attaques contradictoires l’assaillant à la fois et se réfutant l’une l’autre. Que les plus orthodoxes aussi bien que les plus jaloux de la liberté de leur raison abordent sans préjugé ni crainte ce sincère et fidèle tableau. Devant le vaste ensemble et la longue série de ces sociétés si jeunes et déjà si puissantes, si expérimentées, si habiles, ce qui nous étonne le plus, ce n’est pas qu’elles aient existé, c’est que, tant de siècles après leur mort, si profondément enfouies, elles soient ainsi rendues à la lumière. Ne semblerait-il pas, quand l’homme résout de tels problèmes, déchiffre de telles énigmes, et fait sortir de la poussière et des décombres des témoignages si vivans, qu’il est en droit de tout vouloir, de tout interroger et de tout espérer ? N’est-il pas excusable, encouragé surtout par tant d’autres triomphes sur le terrain des sciences physiques, de se persuader qu’avec un peu d’efforts, par sa propre vertu, il peut viser plus haut, lire dans sa destinée et pénétrer au fond des choses ? Eh bien ! pour nous, c’est le contraire : plus nous voyons ces sortes de merveilles, plus nous sentons qu’il en existe d’autres, qu’un voile impénétrable nous en sépare en cette vie, et que, devant ces autres hiéroglyphes, il n’y a ni papyrus, ni zodiaque, ni pyramides, ni statues, ni vases, ni bijoux qui puissent nous en livrer la clé.


L. VITET.