Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 75.djvu/766

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et s’effacent devant des industries nouvelles. Elle est due enfin à cet état de maladie, où vit l’Europe depuis bien des années, à l’excès des arméniens, à cette débauche de dépenses militaires qui épuise tout, finances et population, à cette idée fixe, obstinée, d’une conflagration inévitable, qui enchaîne l’esprit d’entreprise, et. prolonge l’alanguissement de tous les. intérêts en créant une situation qui n’est ni la paix, ni la guerre.

Ce qui est vrai, c’est que même dans ces conditions difficiles la liberté commerciale n’a point laissé de produire encore des fruits heureux, c’est qu’elle a plutôt agi comme un calmant, qu’elle a tempéré du moins l’excès de la crise, qu’elle n’a pas ajouté au malaise universel, qu’elle a contribué dans tous les cas à un certain développement de bien-être, et si elle n’a pas eu des résultats plus décisifs, plus éclatans, c’est que peut-être elle n’a pas été accomplie de la meilleure façon. C’est là en effet le côté, vulnérable de cette réforme de 1860. Lorsque l’empereur écrivait sa lettre, du 5 janvier, il avait compris qu’on ne pouvait lancer l’industrie française dans cette grande expérience, sans lui assurer des compensations, des facilités nouvelles, par la multiplication des voies de communication, par l’abaissement du prix des transports, et il avait tracé tout un programme dont la réalisation devait aider l’industrie nationale dans sa lutte avec l’industrie étrangère. Nous ne prétendons pas que rien n’ait été fait et que. M. Rouher n’ait mis en ligne que des chiffres, de parade en relevant tout ce qui a été dépensé ; il n’est pas moins certain qu’il n’a pas été fait assez, puisque, la France est au-dessous de la Belgique, de la Hollande, pour le développement de ses voies ferrées et que les prix de transport sont infiniment plus élevés chez nous que dans beaucoup d’autres pays. Ce qui est plus vrai, encore, et ici nous touchons à la politique, c’est qu’il y a eu une erreur, radicale, profonde, dans l’accomplissement de la réforme de 1860. On n’a pas vu qu’il y avait une intime solidarité entre tous les progrès, et si, par une inconséquence qui est la faiblesse d’un grand esprit, M. Thiers se refuse encore à compter la liberté commerciale au nombre des libertés nécessaires, on n’a pas vu d’un autre côté qu’on ne pouvait donner cette liberté isolément, comme une compensation de tout le reste. On n’a pas vu, outre les raisons de logique supérieure et de justice, que la liberté commerciale ne pouvait se développer utilement, sûrement, qu’en trouvant dans toutes les autres libertés, des appuis, des auxiliaires, des correctifs, des stimulans, et c’est là en partie la cause des malentendus, et des malaises, qui se sont produits : de telle sorte que, s’il y a quelque chose à demander, ce n’est pas qu’on s’arrête dans cette voie ; sur ce point du reste, M. Rouher a été parfaitement net, il a déclaré qu’on ne s’arrêterait pas, que le traité avec l’Angleterre ne serait pas dénoncé. Ce qu’il faut demander, c’est que la liberté commerciale soit complétée par l’extension de tous les autres droits politiques. Et en vérité ce n’est pas même ici seulement un