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le matérialisme, ils le peuvent, ils le doivent, quoiqu’il ne soit pas absolument nécessaire qu’ils portent ces questions devant le sénat ; mais, le matérialisme n’est pas tout entier à l’École de médecine : il est dans des mesures qu’ils ont eux-mêmes encouragées quelquefois, qu’ils ont tout au moins laissé passer sans rien dire, sans marchander leur appui au gouvernement ; il est dans cette politique de réaction, d’absolutisme et d’immobilité qui trouve encore des défenseurs jusque dans le sénat, et qui n’a d’autre effet que de détourner les âmes des mâles et nobles luttes de la vie publique pour les livrer aux préoccupations vulgaires du bien-être et des jouissances. Du reste, il faut le dire, le sénat a paru comprendre lui-même qu’il avait donné assez de gages à cet esprit de réaction, et au lendemain des discussions prolongées sur la presse, sur l’enseignement de l’École de médecine, il vient de donner sans trop de difficulté son laisser-passer à la loi sur les réunions publiques, récemment votée par le corps législatif.

Cette loi sur les réunions publiques, définitivement votée aujourd’hui, complète le programme du 19 janvier 1867, et l’exécution de ce programme est ce qui caractérise pour le moment la situation de la France. Ce n’est point sans doute une grande extension de liberté, c’est du moins dans une certaine mesure un déplacement de la politique intérieure, un changement de direction, c’est une issue un peu plus large ouverte à l’esprit public. Les lois récemment votées marquent cette étape dans notre vie intérieure ; elles ont été l’occupation de ces derniers temps sans faire oublier toutes ces autres questions qui s’agitent en Europe, qui peuvent sommeiller par momens, et qui ne restent pas moins comme une obsession, comme une menace toujours présente, quoique incessamment ajournée. La vérité est que, sans devenir plus aiguë, en ayant au contraire l’air de se détendre par intervalles, la situation de l’Europe ne change guère, parce qu’elle ne peut pas changer. Cette méfiance inquiète, qui est un peu partout, qui est un des élémens les plus sérieux de la crise industrielle et économique que nous traversons, cette méfiance ne se dissipe point sensiblement, parce qu’il ne suffit pas d’un mot pour la dissiper, parce que, même en dehors des arrière-pensées qu’on peut soupçonner chez les hommes, il y a les difficultés, peut-être les impossibilités, les dangers de conflit, qui sont dans la force des choses. De là cette promptitude des esprits à s’émouvoir, à recueillir le moindre bruit, à se tourner sans cesse du côté de Berlin, ou de Vienne, ou de Pétersbourg. Que le parlement douanier se réunisse à Berlin, on interroge ses manifestations, on suit ses discussions, on pose chaque mot du discours que le roi Guillaume a adressé à ces représentans des intérêts matériels de l’Allemagne. Qu’une dépêche mystérieuse expédiée de Russie annonce à l’improviste une insurrection en Pologne, sur les frontières de la Galicie, on se demande si cette nouvelle, évidemment fabriquée, n’est pas grave justement parce qu’elle est fausse, et qu’elle