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révèle ainsi des calculs secrets, les intentions agitatrices du panslavisme russe dans les provinces de l’Autriche ; mais en définitive ce qu’il y a de plus caractéristique, c’est l’attitude respective des gouvernemens au sein de cette situation confuse. Tous ces gouvernemens, nous devons bien le croire, puisqu’ils l’assurent, sont pleins d’idées conciliantes, pleins de bonne volonté pacifique, ils ne demandent pas mieux que de vivre en bonne intelligence ; seulement ils s’observent en restant armés jusqu’aux dents, pour employer une expression vulgaire, et un rapport récent du maréchal Niel nous apprend qu’après avoir augmenté, comme on sait, nos forces militaires, nous possédons un armement désormais en état de répondre à toutes les éventualités, de telle sorte que, si les chances de paix se mesurent à l’importance des forces et des moyens de guerre dont on dispose, il est certain que jamais le repos du monde ne fut plus assuré ; il est au moins sous bonne garde. N’importe, il était réservé à l’Europe d’aujourd’hui de donner ce spectacle aussi singulier qu’imprévu d’armemens hâtifs, redoublés, démesurés, pour arriver à une paix que tout le monde désire, à laquelle tout le monde voudrait croire, et que personne n’ose se promettre, pas même ceux qui disposent souverainement de la destinée des peuples.

Les États-Unis, quant à eux, offrent un spectacle bien différent de celui de l’Europe et que seuls ils peuvent offrir : c’est le spectacle d’un président publiquement, juridiquement accusé, traduit par le congrès devant le sénat constitué en cour de justice. M. Johnson, on le sait, a été mis en accusation principalement pour avoir violé le tenure office bill en remplaçant arbitrairement au secrétariat de la guerre le général Stanton par le général Thomas. Voilà déjà bien des mois que ce procès se poursuit avec une régularité méthodique et étrange, au milieu de passions à la fois ardentes et contenues. Ce qui a été dépensé de paroles soit pour l’accusation, soit pour la défense, on peut s’en faire une idée par ce que disait récemment un journal américain qui proposait, dans le cas où M. Johnson serait condamné, de commuer sa peine en celle des travaux forcés, consistant à lire tous les discours prononcés à son sujet. Heureusement pour lui, M. Johnson a échappé à cette peine, il vient d’être acquitté, ou du moins il ne s’est pas trouvé un nombre suffisant de voix pour le condamner, de sorte que l’accusation tombe d’elle-même. C’est peut-être au surplus le meilleur dénoûment de cette singulière affaire ; mais ce qu’il y a d’étrange, de remarquable, c’est le fait même. Voilà un grand pays où, pour une violation présumée de la loi, deux pouvoirs entrent en lutte ouverte. Le congrès accuse, le président se défend sans quitter la Maison-Blanche. Le procès se poursuit pendant des mois, et le pays continue à vivre de sa vie ordinaire ; rien n’est en feu, pas la moindre révolution. Avions-nous raison de dire que c’était un spectacle fort différent de celui de l’Europe, et que les États-Unis seuls pouvaient offrir ? ch. de mazade.