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encourageait ses ennemis, et de nouvelles rigueurs furent jugées nécessaires.

Dès les premiers mois de l’année 1303, les poursuites et les arrestations recommencent sur le territoire d’Albi. Cependant, si l’inquisition peut toujours incarcérer, elle ne peut plus faire pendre ou brûler. Vainement en effet elle prononce des renvois au juge séculier ; le juge supérieur à tous les juges séculiers, c’est le vidame, qui ne brûle et ne pend personne. Bernard est toujours à Narbonne. Il paraît avoir constamment occupé sa chaire du mois de juillet 1302 à la fin d’avril 1303 ; mais à cette dernière date il arrive à Toulouse, envoyé, dit-il, auprès du vidame et chargé de lui parler en faveur d’un ancien trésorier de l’église d’Agen, alors prisonnier d’état. Le vidame, en revoyant Bernard, lui dit que la persécution sévit de nouveau, que le trouble est partout, et qu’il faut retourner vers le roi pour lui faire connaître le vain résultat des mesures prises. Bernard, qui sait quelle force a sur l’esprit du roi l’argument de l’émotion publique, conseille au vidame d’ajourner son voyage et d’attendre quelque événement favorable. Pour ce qui le regarde, il croit devoir rester dans le pays, et, comme il vient d’apprendre que les mécontens doivent se réunir vers la fin de mai dans la ville de Carcassonne, il va présentement de ce côté.

Geoffroy d’Aubusson[1] avait remplacé Nicolas d’Abbeville dans la charge d’inquisiteur de Carcassonne. Moins ardent peut-être que son prédécesseur, il avait toutefois prescrit dans ces derniers temps des arrestations nombreuses au pays d’Albi, en respectant l’ordonnance, bien entendu, c’est-à-dire avec l’assentiment et le concours de l’évêque ; mais, pour avoir été faites selon les formes indiquées par le roi, ces arrestations n’avaient pas été mieux agréées, et chaque jour arrivaient à Carcassonne les mères, les femmes, les fils des suspects emmurés, qui venaient gémir ou menacer au seuil du tribunal sinistre. Aux approches de l’Ascension se joignit à cette multitude désolée une députation envoyée par la ville d’Albi, et il y eut alors de fréquens colloques entre les membres de cette députation, Bernard et le vidame, qui était venu lui-même à Carcassonne pour voir, pour entendre ce qu’on faisait, ce qu’on disait, pour intervenir auprès des inquisiteurs et de l’évêque. Si Geoffroy d’Aubusson ne se laissa fléchir par aucune prière, Bernard ne s’affligea pas sans doute de lui trouver cette humeur intraitable qui provoquait de nouvelles et plus vives inimitiés. Le vidame pensait-il de même ? Il parlait moins qu’il n’observait.

De Carcassonne, Bernard et le vidame vont à Cordes, où venaient

  1. Son nom est diversement écrit : Geoffridus de Ablusiis, de Abluseriis, de Albusiis Geoffroy d’Aubusson est donc une traduction dont nous ne saurions garantir l’exactitude.