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ses sympathies chaleureuses, si la dixième partie de ce qu’on a allégué contre lui était vraie. Nous verrons plus loin quelles furent ces allégations, et avec quelle âpreté la passion théologique a transformé en griefs énormes des choses toutes simples et tout au moins très excusables.

Pour la postérité, Paul de Samosate est surtout connu comme le plus habile et le plus illustre des unitaires qui, malgré les progrès accomplis par la doctrine du Verbe, persistèrent à soutenir que Jésus était un homme, et qui, non contens de l’affirmer au nom des traditions les plus anciennes, cherchèrent à édifier sur cette base une théologie destinée à satisfaire la piété tout en respectant la raison. Un peu avant lui, un autre évêque, Bérylle, de Bostra en Arabie, avait développé un système analogue et avait été entraîné de ce chef à de longues discussions avec Origène. Le point en litige était que, d’après Bérylle et d’après Paul, la personne même de Jésus n’est point le Verbe de Dieu, et qu’elle n’a point existé, en tant que personne distincte, avant la naissance de l’homme Jésus. Ce n’est pas que Paul de Samosate refusât de reconnaître la valeur philosophique et religieuse de la théorie du Verbe ou de la raison divine. — Sans doute, disait-il. Dieu ou le Père possède en lui-même la raison suprême dont le monde est la manifestation ; mais cette raison ou ce Verbe divin n’est pas une personne, c’est une perfection divine. Il y a rapport de nature entre l’esprit humain et l’esprit divin. Toute proportion gardée, la raison est dans l’esprit divin ce qu’elle est dans l’esprit humain, et, comme on n’a pas le droit de détacher la raison humaine de l’esprit humain pour en faire un être personnel à part, on n’a pas non plus celui de stipuler l’existence d’une personne divine en dehors et à côté du seul vrai Dieu, laquelle personne ne serait autre que la raison de Dieu détachée de Dieu ! Peut-on admettre que Dieu reste dépourvu de sa raison après la génération du Verbe personnel ? Et si Dieu reste en possession de sa raison interne, tout en projetant hors de lui cette raison sous forme personnelle, faudra-t-il dire qu’il y a deux Verbes, deux raisons divines ? Non, le Verbe est la raison divine en acte dans le monde et en particulier dans l’homme. Ce n’est pas seulement en Jésus qu’il a agi, ou, si l’on veut, parlé : il a inspiré aussi Moïse et les prophètes ; mais c’est en Jésus que son action révélatrice s’est déployée avec le rayonnement le plus intense. C’est pour cela que Jésus est le révélateur par excellence. Le Christ ne vient pas d’en haut, du ciel ; il vient d’en bas, de la terre ; il sort de l’humanité. En vertu de cette action continue du Verbe divin qui se manifeste, entre autres marques de sa présence, dans sa grâce et sa sainteté incomparables, Jésus est l’homme s’élevant vers la divinité (ἐξ ἀθρώπου γέγονε θεὼς) et nous