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que s’accroître depuis son élévation à l’épiscopat. Il était, paraît-il, fort éloquent dans sa cathèdre épiscopale, et attirait une grande affluence d’auditeurs. Les évêques des localités voisines recherchaient son amitié et se rangeaient volontiers à ses avis. Les femmes chrétiennes d’Antioche s’étaient organisées sous sa direction en chœur religieux, et il avait tâché de réformer le chant sacré. L’enthousiasme pour sa personne alla parfois jusqu’à le désigner comme un ange descendu du ciel. Il n’avait pas voulu renoncer à ses fonctions de procurator en devenant évêque. Non-seulement son autorité comme arbitre était plus grande lors des cas fréquens où les chrétiens divisés d’intérêts réclamaient le jugement de l’évêque de préférence à celui des tribunaux païens, mais de plus ce genre de fonctions, fort bien rétribué, en augmentant les ressources dont il pouvait disposer pour les pauvres, lui permettait en temps de persécution de rendre les plus éminens services à ses coreligionnaires. Nous savons en effet que c’était souvent au ducenarius procurator qu’on amenait les chrétiens soupçonnés de lèse-majesté parce qu’ils refusaient de sacrifier pour l’empereur. Ce qu’il faut surtout relever chez lui, c’est une tendance laïque très opposée à l’esprit clérical qui envahissait de plus en plus l’épiscopat. Il voulait vivre de la vie commune, en public et en particulier, et cela semble avoir été au moins autant que sa hardiesse dogmatique la cause des haines furieuses qui ne tardèrent pas à s’élever contre lui. Il entendait que le presbytre et l’évêque restassent des citoyens. Il avait peu de goût pour l’ascétisme. Très estimé de Zénobie, l’impératrice de Palmyre, allant parfois à sa cour, où il se rencontrait avec Longin, le rhéteur appelé d’Athènes par cette femme remarquable, il paraît avoir partagé ses vues politiques, vues d’une grande portée, et dont la réussite, un moment presque assurée, eût changé complètement les destinées ultérieures de l’Orient. De même sa tendance théologique, si elle avait pu s’implanter victorieusement, eût singulièrement changé l’histoire de l’église.

Il se peut sans doute que Paul de Samosate ait eu parfois les défauts de ses qualités. La popularité est un fardeau qu’il n’est pas toujours facile de bien porter. Peut-être fut-il enclin à en tirer parfois vanité, peut-être n’eut-il pas toujours la prudence de repousser la louange excessive, peut-être son désir de rapprocher la vie du clergé chrétien de la vie commune l’entraîna-t-il à des actes peu conformes à la gravité de ses fonctions épiscopales ; peut-être enfin lui fut-il parfois malaisé de concilier les exigences de sa charge civile avec ses devoirs d’évêque. Tout cela peut avoir fourni quelque prétexte et quelque apparence aux accusations indignes dont il a été l’objet ; mais encore une fois il est inadmissible que la population chrétienne d’Antioche l’eût si longtemps entouré de