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véhémentes semonces de son collègue et homonyme de Rome, il s’efforçait de mitiger ses expressions de manière à serrer au plus près les opinions dominantes. Il est donc à présumer que, si sa lettre était pacifique de tendance, elle ne se prononçait pas en faveur de Paul. Dans le même esprit de prudence, il avait omis d’envoyer à son confrère d’Antioche la salutation fraternelle usitée entre évêques. C’est ce que les adversaires de Paul firent valoir avec insistance, mais c’est ce qui permet aussi de supposer que là dut à peu près se borner le parti qu’ils purent tirer de cette lettre. Denys, héritier direct de la science des Clément et des Origène, était une grande autorité en Orient, et ils n’eussent pas manqué de citer les passages formels contre Paul, si la lettre en eût contenu. Une autorité moindre, mais réelle, c’était l’évêque Firmilien de Cappadoce, qui vint deux fois à Antioche pour conférer avec Paul. Lui aussi penchait évidemment pour une solution pacifique et tolérante. Deux fois il s’entremit comme conciliateur. Il semble avoir eu de l’estime pour la personne de Paul. Les ennemis de celui-ci disent que Paul lui promit de changer d’opinions, et qu’à cette condition l’évêque cappadocien détourna de lui l’excommunication menaçante. C’est une allégation gratuite et démentie par ce qui s’est passé depuis. Le malheur voulut que Denys mourût en 265, au moment où le conflit s’envenimait, et que Firmilien mourût cinq ans plus tard à Tarse ; il était en chemin pour se rendre une troisième fois à Antioche, où le parti des évêques belliqueux voulait frapper un coup décisif. Les chefs de la tendance tolérante manquèrent donc à la dernière réunion synodale projetée. De plus, à partir de la fin de l’an 269, les circonstances politiques, jusqu’alors très favorables à Paul, changèrent d’aspect.

Arrivés à ce point de notre récit, nous devons quitter quelque temps Antioche et regarder au-delà même de la Syrie proprement dite pour nous rendre compte du singulier état politique de l’Orient à cette époque. L’une des voies commerciales les plus intéressantes qui aient servi dans l’antiquité de débouché aux marchandises de la Haute-Asie en destination des grands ports de la côte syrienne est celle qui, partant de Sidon, s’enfonce dans le Liban, descend dans la Célésyrie, s’arrête à Balbeck, la cité du soleil, la Baalath du roi Salomon, dont les admirables ruines ont depuis longtemps une réputation si méritée, puis remonte les gorges de l’Anti-Liban et redescend dans ce paradis terrestre où Damas, comme une sultane indolente, étale sa riche parure d’orangers, de pêchers, de citronniers et de cédrats. De là et par un chemin moins pittoresque, mais toujours riant et vert, on arrive à Hems ou Homs, l’ancienne Emèse, la ville de Julia Domna et d’Héliogabale. Tout à coup, à partir de cette ville, le pays change d’aspect. Le désert s’étend à