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perte de vue. Huit ou neuf jours de marche séparent le voyageur de la vallée de l’Euphrate, où recommencent la végétation touffue et l’abondance. Toutefois un dédommagement lui est réservé. À peu près au milieu de cette mer de sable se trouve une île de verdure, une oasis, qui semble un coin de la Célésyrie transporté en plein désert tout exprès pour faciliter la traversée. De belles eaux, de l’herbe, des vergers, surtout de nombreux et magnifiques palmiers, attirent ou plutôt attiraient (car aujourd’hui l’oasis est bien diminuée) les caravanes marchandes. Au centre se trouvait une grande et belle ville qui devait son nom de Thadmor à sa ceinture de palmiers, et que pour cette raison les Grecs appelaient Palmyre. Comme on a dit de Venise qu’elle est un songe de la mer, on eût dit de Palmyre au temps de sa splendeur qu’elle était un rêve du désert. Le désert a rêvé qu’il était grec. Comme tous les beaux rêves, celui-ci a été court. Depuis plus de douze cents années, la cité des palmiers était profondément oubliée, lorsqu’au siècle dernier quelques Anglais attachés à la factorerie d’Alep, séduits par les descriptions des gens de la contrée, s’aventurèrent dans les sables à la recherche de l’antique Thadmor. Quel ne fut pas leur étonnement de découvrir, au centre de l’oasis qu’on leur avait indiquée, des ruines de temples, de portiques, de théâtres, d’aqueducs, d’une grandeur et d’une magnificence à confondre l’imagination ! Des avenues de superbes colonnes se dessinaient en files symétriques sur l’horizon bleu du désert. La terre était jonchée, aussi loin que portait le regard, de corniches, d’entablemens, de pilastres, de chapiteaux de marbre blanc. Ceux qui ont lu les Ruines de Volney se rappellent sans doute l’effet que produisit ce tableau sur l’âme médiocrement poétique du voyageur français, et probablement ne se rappellent que ce beau passage d’un livre bien ennuyeux aujourd’hui.

Par quel concours de circonstances le « rêve du désert » fut-il mêlé aux prosaïques débats de l’épiscopat du IIIe siècle ? Voilà ce qu’il nous faut maintenant expliquer. Thadmor ou Palmyre fut fondée, dit-on, par le roi Salomon. Il est plus vraisemblable que, fidèle à sa constante politique, ce roi d’Israël fit occuper cette localité, qui devait avoir déjà de l’importance au point de vue commercial et dont la possession forçait ses bons amis les Tyriens à rechercher avidement son alliance. Protégée par l’océan sablonneux qui ceignait de toutes parts sa verte oasis et qui s’opposait au passage des grandes armées, Palmyre doit avoir moins souffert que d’autres anciennes villes de l’Orient des dévastations qui furent ordinairement la suite des expéditions des conquérans venus de la Haute-Asie. Il est d’ailleurs à croire que les habitans se soumirent volontiers à payer les tributs exigés à la condition que la route de transit