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De 267 à 272, Zénobie, que les amis de son mari secondèrent de tout leur pouvoir, fut une véritable impératrice. Elle battit les troupes que Gallien avait envoyées contre elle et revêtit ses deux fils de la pourpre. Palmyre dominait alors sur la vaste région qui va de l’Euphrate à la Méditerranée, et des déserts arabes au centre de l’Asie-Mineure. Les temps fabuleux de Sémiramis semblaient revenus. Une femme gouvernait l’Orient, et au souffle de son génie une vie nouvelle se répandait sur cette vieille terre. Non-seulement Zénobie dirigeait les affaires militaires avec une audace et une habileté prodigieuses, commandant elle-même ses troupes en campagne, les haranguant le casque en tête et le bras nu ; mais encore elle s’appliquait à organiser les élémens hétérogènes dont se composait son empire, de manière à les rattacher à sa personne et à la dynastie qu’elle espérait fonder. La grande difficulté intérieure était l’antagonisme de l’élément arabe et de l’élément grec. Le premier donnait la force militaire, le second était la civilisation, que Zénobie tenait beaucoup à développer. Ses fils Ouaballath et Athénodore recevaient l’éducation romaine. Elle-même parlait le grec, le syriaque et l’égyptien. Elle avait, dit-on, rédigé une histoire abrégée de l’Égypte et de l’Orient, dans laquelle elle prétendait établir un rapport de filiation entre sa famille et celle des Lagides. Avare et sobre, d’une justice expéditive avec les Arabes, elle éblouissait les Perses avec des festins splendides et ne craignait pas de leur tenir tête le verre à la main. Quant aux Grecs, elle gagnait leurs sympathies par son goût pour les lettres et les arts. Non-seulement elle continuait d’embellir sa capitale, mais elle voulait faire de Palmyre un centre de lumières. Elle avait appelé d’Athènes le rhéteur Longin, l’une des grandes réputations du temps, et, lui allouant un traitement princier, elle l’avait préposé à une école philosophique et littéraire. Il semble qu’elle réussit parfaitement avec les populations grecques ou grécisées. On n’entend point parler de révoltes contre son autorité dans les pays soumis à son sceptre. Au contraire, en Asie-Mineure et en Égypte, un nombreux parti sollicitait l’annexion à son empire. On doit même se demander si l’Égypte ne lui fut pas soumise. Que serait-il arrivé, si Zénobie eût eu le temps de consolider son œuvre, si un véritable empire d’Orient, imposant sa supériorité aux tribus arabes, se fût constitué trois siècles avant la naissance de Mahomet, si le grand héritage de la civilisation antique eût été conservé dans les vallées du Liban et sur les bords de l’Euphrate ? Peut-être l’espoir d’une pareille consolidation était-il bien chimérique chez la Sémiramis de Palmyre. En tout cas, ses vues étaient grandes, et son génie à la hauteur de ses vues.

Ce qui prouve que nous n’exagérons rien en parlant de la sorte,