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Débonnaire, dame Désespérance, Gentil trucidateur. Comme les clercs de la basoche s’adonnèrent de préférence à ce genre de composition scénique, les formes et les incidens juridiques y furent très fréquens. Il y eut entre eux et les frères de la Passion des collisions provoquées par les empiétemens d’un genre sur l’autre, et qui ne furent apaisées que par un arrêt de parlement qui distingua les mystères sacrés et les mystères profanes, réservant aux seuls frères le droit de représenter les premiers. C’était décréter l’avènement de la comédie moderne. L’étude et le jeu des caractères prit depuis lors plus de place que le merveilleux dans les préoccupations des auteurs dramatiques.

Disons pourtant que cette distinction ne fut claire que dans les années qui précédèrent immédiatement la renaissance. Le moyen âge ne la connut pas, et supporta très longtemps sans le moindre effort ce mélange pour nous inconcevable de la farce et de la tragédie. Il ne faudrait pas s’imaginer que le seul intérêt de ces vastes compositions consiste dans ces échappées de gaîté grossière ou de malice narquoise qui en interrompent les graves péripéties. Sans doute il est prudent de ne pas se pâmer d’admiration devant les mystères comme l’ont fait les admirateurs forcenés du moyen âge. Ils ont pour nous un grave défaut qui tient aux conditions mêmes de la composition : ils sont d’une interminable longueur. On sent que les rédacteurs sont sûrs de leur public, et que celui-ci ne demande qu’à être entretenu le plus longtemps possible. La vie très monotone, très vide intellectuellement, que le peuple menait alors en temps ordinaire lui permettait de supporter sans ennui les longs défilés de personnages et les dialogues sans fin. C’est une raison analogue qui fait de nos jours que la classe ignorante se plaît aux mélodrames immenses d’une certaine école. Quant à du génie d’intrigue, à de profondes études de caractères ou de mœurs, il n’y faut pas songer. Cependant, et toute part faite à ces défauts que le parti-pris seul peut atténuer, on doit signaler parfois de véritables beautés tragiques, rehaussées encore par un accent inimitable de spontanéité, d’ingénuité juvénile; c’est là un charme inhérent à la beauté qui s’ignore et par conséquent aux œuvres des époques primitives. Par exemple, il y a souvent beaucoup de naturel et d’émotion dans les plaintes de Marie agenouillée aux pieds de la croix ou pleurant sur le cadavre de son fils. Marie est très vénérée dans la religion du moyen âge, mais elle reste bien plus femme que dans la dévotion moderne. Le cri de la mère voyant son enfant souffrir et mourir s’échappe de son cœur dans toute sa navrante énergie, sans être encore étouffé par la réflexion de la déesse qui doit savoir que la Passion n’est après tout que l’allaire de quel-