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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/113

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et se plaignant de ce que son frère Abel est trop bien en cour, qu’il va devenir évêque, et qu’il est insupportable d’avoir à se courber devant lui. On devine le conseil pernicieux de Satan. Le fratricide est perpétré sur la scène. Le diable déclare à Caïn que désormais il lui appartient, et lui décrit en termes énergiques les tourmens d’une conscience coupable. Le signe mystérieux est posé par la main divine sur le front du premier meurtrier, qui disparaît dans les ténèbres. Les anges viennent enterrer Abel, et Dieu console les parens désolés en reportant sur Seth la promesse que de sa race sortirait le sauveur promis.

Assurément un pareil drame n’a rien à envier, sous le rapport de l’ingénuité, aux mystères les plus naïfs du moyen âge. Cependant on voit d’ici le changement grave qui s’est opéré. Ce n’est plus la représentation animée d’une scène tragique qui préoccupe le poète, c’est la moralité, c’est le dogme. Le mystère n’est plus qu’une manière de prédication, et il va mourir sous ce vêtement dogmatique à peu près comme notre tragédie classique jeta au XVIIIe siècle son dernier éclat en devenant philosophique. La poésie didactique ne peut longtemps se soutenir. Elle prétend réunir deux élémens inconciliables, la rigueur de la pensée et l’ondoyant de la forme poétique. L’une ne peut que faire tort à l’autre. Hans Sachs n’eut pas de successeurs, ou du moins ceux qu’il eut ne méritent pas d’être mentionnés.

En revanche, le drame religieux eut encore de beaux jours dans les pays où la foi du moyen âge était restée intacte, et où pourtant les reflets de la renaissance associés à un vif sentiment de la grandeur nationale avaient imprimé aux esprits un essor qui ne dura guère, il est vrai, n’étant soutenu par rien, mais qui fut très brillant. En Espagne, le goût des Autos sacramentales se perpétua comme celui des processions à personnages fabuleux et sacrés, et au milieu d’un grand nombre d’émulés Lope de Vega et Calderon, — deux auteurs un peu surfaits en Allemagne lors de la réaction contre nos classiques, dont G. de Schlegel donna le signal, — élevèrent le mystère à une hauteur qu’il n’avait jamais connue. Tous deux y firent entrer beaucoup de théologie scolastique, tous deux aidèrent par le moyen du drame à populariser le dogme de l’immaculée conception de Marie, à cette époque très combattu. La vie des saints leur fournit d’innombrables sujets. Lope de Vega produisit, dit-on, plus de quatre cents autos; Calderon, moins fécond, se contenta d’une centaine. Chez le premier, il y a plus de facilité et de naturel; chez le second plus de délicatesse et d’élévation; chez tous deux, la foi catholique la plus intense fournit les inspirations et commande absolument la marche du drame. Lope de Vega, par