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exemple, raconte dans son Saint Julien, plus connu sous le titre d’El Animal profeta, comment le futur saint tue à la chasse un cerf qui, en mourant, prend la voix humaine et lui prédit qu’il assassinera un jour son père et sa mère. Pour conjurer la sinistre prédiction, le jeune homme fuit loin de son pays, et après plusieurs aventures épouse la fille du duc de Ferrare, qu’il a délivrée des brigands. Un frère du duc, qui aimait la jeune fille, irrité de ce mariage, le provoque en duel. Il accepte le défi, mais on lui apprend que son rival a conçu le projet de se glisser chez sa femme à l’heure même où il se rendra au lieu désigné pour le combat. Furieux, il rentre à l’heure dite dans la chambre conjugale, et à la faible lueur d’une lampe il distingue un homme et une femme reposant ensemble dans son lit. Un accès de rage s’empare de lui et il les transperce l’un et l’autre du même coup. Au même instant, sa femme rentre. « Qui donc était dans mon lit? s’écrie-t-il désespéré. — Tes parens, qui m’ont surprise par leur brusque arrivée, et à qui j’ai prêté notre lit, aucun autre n’étant prêt. » La fatale prédiction est accomplie. Son adversaire arrive, Julien le tue et s’enfuit à Rome avec sa femme pour demander l’absolution au saint-père. Celui-ci envoie les deux époux en Calabre avec l’ordre d’y fonder un hospice en faveur des pauvres malades. Ils y trouvent le diable déguisé en paralytique, et qui veut persuader à Julien que ses péchés sont absolument irrémissibles, car ses parens sont morts par sa faute sans avoir pu recevoir les sacremens. Pour confirmer son dire, il les lui fait voir plongés dans les flammes infernales. Le malheureux Julien sent sa foi vaciller; mais le Seigneur lui apparaît, lui promet de retirer son père et sa mère du purgatoire, et l’on voit leurs âmes transfigurées monter au ciel, tandis que saint Julien va consacrer le reste de ses jours à la contemplation et aux œuvres de miséricorde. Comme on en peut juger par cette esquisse, l’élément dramatique est vigoureusement traité; mais c’est le dogme catholique qui fait au fond l’intérêt, le vrai sujet et le dénoûment. Du reste l’enfer et le purgatoire avec leurs flammes dévorantes jouent toujours un grand rôle dans les conceptions religieuses de l’Espagne. Il y a même un auto de Calderon, le Purgatoire de saint Patrice, dans lequel des gens descendent au purgatoire, en reviennent et racontent tout au long ce qu’ils y ont vu. Par là, l’auto sacramental se rapproche de l’auto-da-fé, et l’un pourrait bien avoir contribué à la prospérité de l’autre. Le sujet essentiel de Don Juan, c’est-à-dire la terrifiante punition de l’impie, est originaire du même pays. C’est un contemporain de Lope de Vega, Tirso de Molina, qui lui a le premier donné une forme dramatique sous le titre à et Ateista fulminato. Tandis que le luthérien Hans Sachs mettait le