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dogme catholique dans la bouche du petit Caïn, Lope de Vega attaquait avec furie la réforme dans sa Corona tragica, tout à l’honneur de Marie Stuart, et recevait pour cette œuvre du pape Urbain VIII la croix de Malte et le diplôme de docteur en théologie. Calderon, qui avait fait partie de l’invincible Armada, détestait aussi l’Angleterre et la réforme, et sa tragédie intitulée le Schisme d’Angleterre a pour but de rabaisser la naissance d’Elisabeth, de même que le Henri VIII de Shakspeare cherche à la glorifier. Aussi le beau rôle appartient-il chez le poète espagnol à Catherine d’Aragon, comme chez le poète anglais à Anne Boleyn. Cependant, même en Espagne, on commençait à trouver surannées ces représentations scéniques des croyances et des traditions sacrées. Cervantes, dans son Don Quichotte, les blâme aussi vertement que les romans de chevalerie. Calderon lui-même, mort en 1681, put observer le changement qui s’opérait dans le goût de ses compatriotes. L’arrivée en 1700 d’un prince français sur le trône d’Espagne, en répandant au sein des hautes classes les idées de la France, acheva la défaite du vieux genre.

Ainsi, dans la catholique Espagne elle-même, le théâtre du moyen âge n’était plus apprécié, du moins par les grands et par les lettrés, car les vieilles coutumes ne disparaissent pas de cette brusque manière. Quand on pénètre au-dessous de cette couche polie qui, dans toute l’Europe et malgré de grandes diversités nationales, constitue une seule et même société, on est tout surpris de voir avec quelle ténacité se perpétuent dans les rangs inférieurs les coutumes qui eurent le temps de s’implanter dans les traditions. Le mystère ou le drame religieux fut banni des villes et des cours, et ne trouva plus d’acteurs vivans pour le représenter; mais il se survécut sous d’humbles formes qui n’ont pas encore tout à fait disparu. Il n’y a pas bien longtemps que les théâtres forains jouaient encore l’Enfant prodigue, la Passion et la Tentation de saint Antoine. Cette dernière surtout, y compris l’apparition du pachyderme qui y joue un rôle essentiel, charmait les paysans de Normandie il y a quelque trente ans. Il est vrai que ces derniers vestiges d’une puissance du passé ont presque disparu de nos campagnes du nord.

Une chose pourtant, une alliance hybride, conservera peut-être un remarquable échantillon des mystères du moyen âge : c’est le goût des raffinés pour les reliques de cette curieuse époque joint à celui des paysans pour ce qui rapporte de l’argent. Parmi les pays où les populations rustiques persistèrent à aimer la représentation des vieux mystères, il faut citer le Tyrol et la Haute-Bavière. Au XVIIIe siècle, l’autorité religieuse et la police s’entendirent pour pro-