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sa dernière période. Sans que les deux genres s’excluent, la messe en musique est catholique; l’oratorio, tel que l’ont compris Bach, Hændel, Mendelssohn, est plutôt protestant.

A partir du XVIIe siècle, le rapport entre l’église et le théâtre fut donc précisément en sens inverse de ce qu’il avait été au moyen âge. A l’étroite alliance succéda l’hostilité. Il y eut des momens de trêve, mais alors ce ne fut pas le drame religieux qui s’ouvrit à des élémens mondains; ce fut le drame mondain qui, de temps à autre et à l’heure de sa convenance, choisit ses sujets dans l’ordre religieux. Ces empiétemens n’eurent pas lieu sans réclamation de la part des gens à piété étroite. Corneille dut invoquer l’exemple de Grotius et de Buchanan pour justifier l’audace qu’il avait eue de faire figurer saint Polyeucte sur les planches. La tragédie de ce nom, celle de tout notre répertoire qui se rapproche le plus de l’auto sacramental espagnol, prouve le changement opéré dans les esprits. La légende racontée par Siméon Métaphraste ne sait rien d’un premier amour de Pauline pour Sévère. Le Polyeucte canonique regarde tout bonnement les larmes de sa femme comme des tentations du diable et marche sans hésitation au martyre. Ce qui appartient au poète moderne, c’est donc l’élément éminemment tragique, mais peu ecclésiastique, de l’amour aux prises avec le devoir, et il nous faut bien avouer que c’est là précisément ce qui nous touche dans cet épisode dramatisé de l’histoire du martyre. Sans l’intervention d’une passion tout humaine, le fanatisme du héros nous laisserait assez froids. Le drame du moyen âge au contraire se fût contenté de ce genre d’intérêt. Pour nous, c’est bien moins l’orthodoxie de Polyeucte qui nous émeut que les agitations de son cœur, et nous croyons exprimer le sentiment de l’immense majorité des lecteurs contemporains en ajoutant qu’aujourd’hui Pauline nous touche plus que son époux. Molière aussi fit entrer momentanément la religion dans son théâtre, d’abord dans Don Juan, et un peu, semble-t-il, pour que le pavillon couvrît la marchandise. La seconde fois, ce fut dans le Tartuffe, et pour s’attaquer à un vice aussi odieux que difficile à stigmatiser comme il le mérite sans éveiller des susceptibilités de l’ordre le plus irritable. Tartuffe, composé aujourd’hui, trouverait-il grâce devant la censure ?

Si quelque chose est de nature à prouver l’énorme difficulté des drames dont le sujet rentre dans le domaine religieux, c’est précisément l’œuvre qu’on regarde comme la perfection même du genre, ce sont les deux tragédies d’Esther et d’Athalie. Nous savons tous pour quelle destination ces deux pièces furent composées. Racine n’avait certes pas la moindre arrière-pensée libérale en les écrivant, et pourtant que ne découvrit-on pas dans les virginales tra-