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gédies ! Assuérus était Louis XIV, Vasthi la Montespan, Aman Louvois, que plus d’un spectateur eût bien voulu voir pendre à plus de cinquante coudées de hauteur; Esther était Mme de Maintenon, se rappelant peut-être les vieux psaumes de son enfance huguenote, et tâchant d’éclairer la justice souveraine sur les odieux traitemens infligés au peuple de Dieu dispersé dans l’empire. Mme de Maintenon avait bien d’autres soucis en tête, mais à défaut d’un intérêt d’amour on voulait à tout prix trouver un intérêt politique à la pièce religieuse. Dans Athalie, il y avait une insurrection victorieuse, une reine détrônée, un prêtre inaccessible à la crainte, et la ravissante harmonie du vers racinien, qui atteint la perfection dans cette tragédie biblique, ne pouvait adoucir assez les tendances subversives de toute cette histoire. Le fait est, contrairement à l’opinion commune, qu’Esther ne fut pas jouée long temps à Saint-Cyr, et qu’Athalie ne le fut jamais. Il paraît qu’on s’était aperçu aux répétitions des ravages que malgré l’innocence du sujet ces exercices dramatiques faisaient dans l’imagination des jeunes actrices. Ce devait être un bien joli petit roi que Joas, et si Athalie, un rôle de grande, avait la mauvaise part dans la pièce, encore devait-elle se montrer reine superbe et passionnée devant les plus brillans seigneurs de la cour. Le théâtre et la religion dénonçaient une fois de plus leur incompatibilité dans les mœurs modernes. Bientôt l’intérêt religieux fit complètement défaut aux deux pièces, le charme littéraire resta seul, et le monde profita exclusivement de ce qui avait un instant paru indivis entre lui et l’église. C’est le sentiment de la même contradiction qui détermina Shakspeare, à une époque de grande agitation religieuse, à rester dans la sphère supérieure que n’atteignent pas les aspérités des luttes confessionnelles, et où le sens religieux, chrétien au fond, mais général, demeure seul indissolublement uni au cœur humain.

La contradiction devint plus évidente encore au XVIIIe siècle. Alors le drame devint philosophique et combattit l’absolutisme des confessions religieuses. Zaïre tend à montrer dans les différences de religion l’un des plus grands obstacles qui s’opposent au bonheur de l’humanité. Alzire, tragédie trop peu appréciée de nos jours, tout en développant au fond la même idée, relève surtout dans la morale chrétienne ce qu’elle a de commun avec la morale philosophique alors en vogue, la beauté du pardon généreusement accordé à ses ennemis. Mahomet est plus méchant. L’auteur eut la malice de le dédier au pape, et celui-ci eut la bonhomie de remercier « son fils » Voltaire et de lui octroyer sa bénédiction. Or notre fils Voltaire envoyait vers le même temps sa tragédie à son royal ami de Berlin sans la lui dédier, mais en la définissant : Tartuffe