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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/12

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étranger à la politique et à la royauté que peut l’être un écrit sorti d’une main habituée à signer des décrets souverains; l’ouvrage est si complètement dépouillé de toute prétention, qu’il pousse la simplicité jusqu’à une sorte de prosaïsme volontaire. Nulle obligation de louer un livre duquel on pourrait dire, s’il n’avait pas été destiné à demeurer dans le secret, qu’il a été écrit en vue d’échapper à toute louange. Il peut plaire et même instruire; il plaira, malgré l’abandon de la forme, parce qu’il n’est jamais indifférent à notre curiosité d’être initiée au détail de la vie privée de personnages aussi haut placés. Il plaira, parce que la curiosité n’a pas un instant à craindre d’être prise pour dupe. Il instruira même, comme pourrait le faire toute peinture sincère d’une existence humaine; il sera l’enseignement du foyer domestique et l’exemple d’une vie heureuse rencontré dans le palais d’une reine. « Puissent les enfans de nos enfans, disait Tennyson, répéter un jour : Sa cour était pure, sa vie sereine; Dieu lui donna la paix, son pays eut le repos! Mille droits au respect étaient réunis en elle, comme mère, comme femme et comme reine[1]. »

Plaire, instruire, sans même y avoir songé, que peut-on demander de plus? Nous avons parlé des motifs qui déterminent toute publication. On pourrait dire que la royauté anglaise, étant à l’abri de toute responsabilité, peut jouir de certains droits du simple citoyen, par exemple de publier un livre sans que les sujets y cherchent des intentions personnelles ou des applications politiques. Une reine de la Grande-Bretagne peut aimer, par exemple, le séjour des montagnes d’Ecosse et le dire, elle peut admirer et décrire à cœur-joie l’enthousiasme de ses bons highlanders et le zèle ingénument monarchique de leurs femmes et de leurs mères, sans donner lieu de soupçonner des préférences intéressées, des calculs secrets. Napoléon Ier exprimait trop énergiquement son mépris pour la position d’un roi constitutionnel d’Angleterre; il ne mettait pas en ligne de compte cette condition dont on peut vivement sentir l’absence même sur le trône, la possibilité d’être heureux. Le bonheur, voilà ce qui respire, voilà ce qui déborde, non en pages éloquentes, mais en preuves irrécusables, dans le journal de la reine Victoria. Ce bonheur a été suivi de bien des larmes et d’un deuil qui ne finira pas; mais qu’importent les larmes? N’est-ce pas le prix dont se paient les plus profondes jouissances de l’âme? Il faut bien le dire, le bonheur humain se mesure à l’étendue de la douleur qu’il laisse après lui. L’auteur de ces pages si simples et si dénuées de tout art a ressenti l’un et l’autre aussi fortement que la plus obscure des

  1. To the Queen, mars 1851.