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philosophique. Il a eu la bonne fortune de tracer en quelques traits principaux une sorte de programme pour lequel les doctrines extrêmes montrent un égal respect. C’est ce programme qu’il faudrait discuter. Toutefois ce n’est pas là le but que nous nous proposons aujourd’hui, et nous avons pour nous abstenir, entre autres motifs, une raison capitale. Ce programme sera sans doute magistralement développé et commenté dans une occasion prochaine, à la séance où M. Claude Bernard, récemment élu membre de l’Académie française, prendra place parmi ses nouveaux collègues. Le récipiendaire, avec cette modestie qui est comme le costume propre de ces solennités, s’excusera d’abord de l’honneur qu’il a reçu, et le renverra tout entier à cette école physiologique qu’un travail opiniâtre a conduite à des vérités nouvelles. « Non, monsieur, répondra le directeur de l’Académie, ce n’est point une école de physiologie que nous avons voulu récompenser, ce n’est même pas à l’auteur de plusieurs découvertes importantes que nous avons donné nos suffrages; celui que nous avons appelé parmi nous, c’est l’écrivain qui, d’une main à la fois ferme et délicate, a marqué les droits et les méthodes de la libre recherche. » Nous verrons sans doute après cet exorde un exposé complet de ces droits et de ces méthodes, et voilà pourquoi nous nous abstenons d’en parler aujourd’hui.

Nous allons faire une œuvre beaucoup plus modeste. Nous voulons seulement, en nous tenant sur le terrain des faits, chercher dans le rapport officiel sur les progrès de la physiologie française quelles sont les principales découvertes que l’école expérimentale peut inscrire à son crédit. Nous aurons ainsi occasion de rappeler des travaux connus; mais on ne saurait trop insister sur les faits, sur ceux surtout qui servent de point de départ à des discussions théoriques. Il est un spectacle en effet qui nous est donné journellement dans les controverses qu’amènent les progrès de la science. On voit souvent les conclusions grossir peu à peu et s’enfler jusqu’à perdre toute proportion avec les données d’où elles sont parties. D’abord les auteurs de découvertes expérimentales sont quelquefois portés à s’en exagérer l’importance. Ils connaissent du moins le terrain sur lequel ils se sont placés, et, s’ils en sortent, c’est à bon escient. Ceux qui n’ont pas fait les expériences, qui en ont lu seulement la relation, n’ont plus le sentiment net des restrictions nécessaires; ils s’aventurent beaucoup plus aisément, et peuvent arriver ainsi à des généralités téméraires. Les plus audacieux, les plus terribles, sont ceux qui ne connaissent en aucune façon les faits originaux, qui prennent les conclusions à demi formulées, et tout d’abord les poussent à l’extrême. Il ne sera donc pas inutile de rappeler