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gination. L’absence de cette faculté ôterait à l’existence la moitié de son prix. La joie de la reine ressemble à un transport quand elle se voit au milieu d’un pays bien sauvage. « Quels beaux rochers, quels précipices! s’écrie-t-elle au sommet du Ben Muich Dhui. L’effet en était sublime, — une admirable solitude, rien que nous et notre petite compagnie! » L’auteur de ce journal a certainement le sentiment du pittoresque, et elle le prouve en plus d’un endroit, il ne lui manque peut-être que la pratique de l’art d’écrire pour mettre ses « chères montagnes » sous nos yeux et faire passer dans notre âme un peu de son enthousiasme. Les grandes scènes silencieuses de la nature ont un langage qu’elle rend à sa manière, en quelques mots; mais ce spectacle lui plaît aussi parce qu’il lui fait oublier les ministres, les lords, les communes et les levers ou réceptions, levees, qui durent quatre et cinq heures : il lui plaît surtout parce qu’elle en jouit avec celui qui l’accompagne, qui l’initie à ces admirations pour lesquelles le cœur s’ouvre et se dilate si naturellement quand il est heureux! Ce qui ajoute à ces beaux sites le charme suprême, c’est qu’ils rappellent souvent le pays de Thuringe, que l’on a parcouru sous le rayon magique de la lune de miel. Ces enfans, ces jeunes filles aux chevelures flottantes et d’un blond ardent, ces vieilles femmes avec leurs coiffures originales, plaisent à la reine, mais encore plus à la femme, parce que ce bon peuple rappelle à l’époux celui de sa chère Allemagne. Edimbourg, vu de la route qui y mène, a surpris le prince Albert comme une ville que les fées auraient bâtie; à son avis, l’Acropole d’Athènes ne doit pas être plus belle que les hauteurs du roi Arthur et les rochers de Salisbury, qui dominent et encadrent la capitale de l’Ecosse. Le prince a voyagé : les ponts et les quais de Glasgow lui rappellent Paris; la situation de Perth sur la Tay, avec sa bordure de forêts d’un côté et des hauteurs dans le lointain, ressemble à celle de Bâle sur le Rhin majestueux; ailleurs il revoit les fraîches vallées de la Suisse. La reine s’associe à ces souvenirs, elle croit les retrouver dans sa propre mémoire. Écartez l’idée de la dignité royale, ne semble-t-il pas qu’on entende les pigeons de La Fontaine?

…… Mon voyage dépeint
Vous sera d’un plaisir extrême.
Je dirai : J’étais là; telle chose m’avint :
Vous y croirez être vous-même.


La reine voyait tout par les yeux de son prince bien-aimé. Le prince était son conseil et sa force : est-il absent, elle n’a plus ni plaisir ni courage. Un jour elle se sent toute triste parce qu’il se doit rendre à Aberdeen pour un meeting de savans. Faire une promenade