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guerre de l’indépendance américaine, et l’on fit admirer à ses yeux enfantins le sabre porté par celui-ci à la glorieuse journée de Bunker’s Hill. Peut-être faut-il expliquer par ces impressions premières le goût que Prescott conserva toujours à raconter les beaux faits d’armes et les grands coups d’épée. Nulle lecture ne causait chez lui autant d’enthousiasme que celle des romans de chevalerie. Au premier rang de ses préférences, le futur historien de Fernand Cortez mettait Amadis de Gaule, auquel il paya plus tard dans son premier ouvrage un tribut d’hommages moins enthousiastes peut-être, mais plus réfléchis. Bien différent au reste de ce qu’il devait être un jour, il aimait beaucoup mieux le plaisir que le travail, et montrait une aversion singulière pour tout ce qui ressemblait à un effort quelconque. Son admission au rang des sophomores de l’université d’Harvard ne modifia en rien ses habitudes d’oisiveté. Il ne paraît même pas qu’il ait su résister alors à toutes les tentations qui se pressaient sur sa route depuis qu’échappé à la surveillance des siens rien ne l’empêchait plus de se livrer aux entraînemens d’une nature ardente et d’un cœur passionné. Au moins son biographe nous dit-il que cette période fut la plus dangereuse de sa jeunesse, et que souvent plus tard, regardant en arrière, il y pensait avec regret. Un terrible accident qui devait avoir sur sa destinée une triste et considérable influence changea brusquement le cours de sa vie. Au milieu d’une bagarre d’écoliers, il reçut dans l’œil un morceau de pain lancé avec force et au hasard par un de ses amis. Ce coup funeste fut suivi d’une inflammation qui mit pendant plusieurs jours son existence en danger, et, quand il revint à la santé, son œil était irrévocablement perdu. Les longues semaines qu’il avait passées dans la nuit et le silence étaient propices aux sages réflexions, et il sortit de son long repos avec la ferme intention de racheter par un travail assidu l’oisiveté légère de ses premières années. Grâce à ses remarquables facultés, dont il n’avait pas fait grand emploi jusqu’à ce jour, il lui fut aisé d’y parvenir, et il obtint l’insigne honneur de terminer sa carrière universitaire par la lecture publique d’un poème en vers latins de sa composition dédié à l’espérance, poème qu’il s’efforça plus tard de retrouver parmi ses papiers de jeunesse, et dont il regretta toujours la perte.

L’espérance lui souriait en effet à cette époque de sa vie, alors qu’après de brillans succès, et dans toute la joie d’une santé rétablie, il quittait, non sans regrets toutefois, l’université. Il avait alors dix-neuf ans, et il commença, bien qu’avec assez peu de goût, à étudier le droit sous la direction de son père. Deux ans s’étaient écoulés depuis son accident, et il pouvait caresser l’espoir d’en être quitte pour une infirmité qui, chose singulière, était à peine