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dits espagnols eux-mêmes, et il paraît que ce n’était pas toujours chose facile. Bien des années après, son secrétaire parlait encore avec horreur de la chronique d’un certain Bernaldez, que Prescott considérait comme une précieuse trouvaille, mais dont son jeune lecteur était loin d’avoir gardé d’aussi bons souvenirs. « Ce vieux grimoire, disait-il plus tard, était mon plus grand ennemi, et je n’oublierai jamais les heures que j’ai passées à le lire et le relire à M. Prescott. J’avais bien de la peine dans les commencemens à déchiffrer cette écriture, et je faisais tellement de fautes que je ne sais comment il arrivait à me comprendre ; mais jamais il ne témoignait aucune impatience. » Certains chapitres, entre autres celui sur la civilisation des Arabes, coûtèrent à Prescott sept mois de travail. À ce compte, on ne s’étonnera pas qu’il ait mis sept ans à écrire l’Histoire de Ferdinand et d’Isabelle. Si l’on ajoute à cela trois années d’études préparatoires, ce furent dix années, les meilleures de sa vie, comme il le disait plus tard, qu’il consacra à cet important ouvrage.

Chose étrange, loin de ressentir un empressement bien naturel à recueillir les fruits d’un aussi rude labeur, Prescott eut au contraire quelques doutes sur l’opportunité de la publication de ses trois volumes. Il consulta son père. « Celui qui, après avoir écrit un livre, ne le publie pas est un poltron, » répliqua l’austère vieillard. Cette rude réponse mit fin aux hésitations de Prescott. l’Histoire de Ferdinand et d’Isabelle parut dans les derniers jours de l’année 1838. Le petit monde littéraire de Boston l’attendait avec une grande impatience. Prescott s’était déjà fait une sorte de réputation dans cette ville par quelques articles de revue. Il y était personnellement très aimé, et de plus tout le monde se demandait avec curiosité comment, dans une œuvre d’aussi longue haleine, il avait pu triompher des difficultés que lui opposait son infirmité bien connue. En quelques jours, cinq cents exemplaires furent enlevés, et au bout de quatre ou cinq semaines la première édition fut complètement épuisée. La mode, ce puissant auxiliaire du succès, s’en était mêlée dès le premier moment, et l’Histoire de Ferdinand et d’Isabelle était sur-le-champ devenue à Boston le présent fashionable de nouvelle année. L’éditeur reçut des demandes d’envoi de tous les coins de l’Amérique, et en peu de mois il vendit plus d’exemplaires que d’après les termes d’un contrat conclu pour cinq années il n’avait le droit d’en tirer. Les recueils littéraires étaient remplis des articles les plus élogieux. On en vint bientôt à se disputer sur le lieu de la naissance de l’auteur, et, un journal ayant avancé qu’il était né à Boston, la feuille publique de Salem protesta vivement contre cette prétention mal fondée. Enfin, pour comble de gloire, un prédicateur annonçait à Prescott l’intention de prendre sa vie, son in-