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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/237

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qu’est-ce autre chose qu’un épisode de ce grand et singulier travail de liquidation qui s’accomplit ? M. Haussmann a le langage mélancolique et lier des génies brusquement arrêtés dans leur coursé. On dirait, à tout prendre, un bienfaiteur de l’humanité éprouvé par l’ingratitude publique, et s’arrêtant un instant pour demander s’il doit définitivement passer parmi les dieux ou continuer à verser sur ses contemporains des torreiis de bien-être en ouvrant de nouveaux boulevards. M. Haussmann restera-t-il préfet de la Seine, ou bien ira-t-il goûter le repos qu’il a si bien gagné ? La question est grave ; au fond, en se rendant cet orgueilleux témoignage, M. Haussmann ne fait autre chose que de laisser percer sans y songer le sentiment d’une crise où toutes les omnipotences s’en vont.

Cette situation apparaît bien un peu partout et sous toutes les formes, dans l’ordre moral comme dans l’ordre matériel. De toute façon on se trouve en face de quelque conséquence imprévue de ce qu’on a fait.ou de ce qu’on a laissé faire. Il est certain que depuis assez longtemps, dans ces dernières années surtout, il s’est produit en France une réaction qui a fini par se manifester avec une naïveté étrange. Si ce n’était qu’une réaction d’idées morales et religieuses dans une civilisation écœurée de jouissances matérielles, il n’y aurait rien que de simple, ce serait le travail naturel et salutaire des esprits et des âmes ; mais il est bien visible que ce mouvement a un tout autre caractère, qu’il se compose de toute sorte de vaines frayeurs et d’étroits préjugés, que dans sa bruyante explosion il n’est rien moins qu’une guerre déclarée à la société moderne, à ses principes, à ses idées, à ses instincts. Le clergé, en majorité du moins, a eu la malheureuse faiblesse de se laisser griser par ce souftle d’absolutisme renaissant à la suite des révolutions de 1848. En échange de la protection intéressée qu’il recevait, il n’a pas marchandé son appui, et il a cru dès lors le moment venu de réagir contre tout ce qui était libéral ; il n’a pas craint de laisser voir sa pensée, d’autant plus qu’il avait retrouvé une place dans les assemblées politiques. Il en est résulté cet air de prépotence qu’a pris l’église, qu’elle porte un peu partout, dans son attitude et dans ses discussions, faisant des efforts désespérés pour enchaîner la politique de la France à des intérêts surannés, et y réussissant quelquefois, revendiquant un droit exclusif sur l’éducation, poursuivant d’une hostilité aussi persévérante que passionnée l’indépendance de l’esprit et de l’instruction laïque. Quelle en a été la conséquence ? L’église n’a point gagné en crédit, en influence durable ; elle a provoqué au contraire des réactions extrêmes dans un sens opposé. Nous ne parlons plus de cette recrudescence de matérialisme qui s’est manifestée dans les idées, et à laquelle les discussions du sénat ont donné une sorte d’importance politique. On vient de voir de bien autres effets. Dans une des contrées les plus riches de la France, dans les campagnes de la Charente, pendant deux mois, les paysans ont été dans une inexprimable