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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/251

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la transformation de l’une en l’autre selon une proportion rigoureusement déterminée. De toutes ces admirables découvertes approfondies et développées est sortie cette idée générale, simple et grandiose à la fois : c’est que dans le monde physique, en laissant de côté l’ordre de la vie, de la sensibilité et de la pensée, il n’y a rien autre chose que des mouvemens. Ces mouvemens sont de deux sortes : les uns, visibles, immédiatement perçus par nos sens, forment l’objet de la mécanique ordinaire; les autres, invisibles, ne nous affectant que sous les apparences phénoménales de la chaleur et de la lumière, sont l’objet d’une mécanique nouvelle qui fait chaque jour de nouveaux progrès. La théorie mécanique de la chaleur, qui pourrait bien être dans le domaine de l’infiniment petit une découverte aussi féconde que la découverte newtonienne dans le domaine de l’infiniment grand, paraît devoir être comme la théorie générale qui dans un temps donné embrassera la physique tout entière, et à l’heure qu’il est modifie déjà profondément les doctrines de la chimie. D’un côté pénétrant jusqu’à la physiologie, remontant de l’autre jusqu’à l’astronomie, elle semble appelée à expliquer à la fois la chaleur vitale et la chaleur solaire, à relier l’un à l’autre d’une manière scientifique ces deux phénomènes, dont l’imagination mythologique avait pressenti la merveilleuse union.

Cette tendance générale à l’unité de la force dans la nature est celle qui domine dans le premier ouvrage de M. Laugel, Problèmes de la Nature. Cependant il ne s’y abandonne pas sans circonspection et sans résistance. Il ne paraît pas vouloir aller au-delà du principe de la corrélation des forces, posé par M. Grove il y a vingt-cinq ans. Il n’admet que les analogies de la lumière et de la chaleur, et se refuse à en affirmer l’identité. Peut-être est-il ici trop timide. Les physiciens les plus autorisés ne craignent point d’aller jusqu’à cette dernière synthèse. Je me contenterai de citer M. Verdet, que nous avons eu le malheur de perdre il y a deux ans, et dont la haute autorité scientifique était hors de doute. M. Verdet n’hésitait pas à considérer comme acquise à la science l’identité des deux agens, chaleur et lumière, la diversité spécifique n’étant que dans les organes et non dans les causes externes[1].

Ce ne serait pas faire suffisamment connaître les Problèmes de la Nature de M. Laugel que de n’y voir qu’une synthèse des grandes découvertes scientifiques modernes. Il y apporte encore des vues philosophiques personnelles et intéressantes. Je signalerai, par exemple, la réduction de toutes nos idées sur les corps à deux fondamentales, la forme et la force, — la première nous donnant ce qu’il y a de stable et d’immobile dans les choses, la seconde ce qu’il y a de changeant, d’actif et de vivant; la première, objet des sciences que l’auteur appelle statiques,

  1. Cette doctrine s’enseigne aujourd’hui dans les traités de physique; voyez Traité de Physique, par MM. d’Almeida et Boutan.