Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/28

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

goûter le livre, c’est le livre qui y a fait goûter le catholicisme. Ce journal d’une jeune fille a paru plus puissant que bien des livres de controverse. Des théologiens ont avoué qu’ils voyaient un danger dans cette série de simples confidences fraternelles écrites au jour le jour au fond d’une campagne du Languedoc[1].

Voilà donc un livre bien anglais par la forme, mais il l’est encore plus par les pensées qui en composent le fond, s’il est vrai que nos voisins se plaisent dans l’expression ingénue du bonheur conjugal. Assurément l’amour dans le mariage est un sentiment universel, et nous n’y sommes pas plus étrangers que les autres, bien que notre littérature nous ait un peu calomniés. Sur notre théâtre, dans nos romans, nous en faisons un beau et noble devoir, un héroïsme quelquefois sublime; cependant il nous semblerait superflu et même affecté de le représenter comme une source de plaisirs. Peindre le bonheur dans le mariage serait presque du mauvais goût. La Fontaine seul l’a pu faire, parce que de sa part c’est comme une amende honorable, et il a dit des ménages modèles :

Ils s’aiment jusqu’au bout malgré l’effort des ans.
Ah! si... Mais autre part j’ai porté mes présens.


Pour nous en tenir à la pensée particulière qui anime les pages de ce journal, nous aussi nous trouvons dans nos poètes l’association du sentiment de la nature et de l’amour, cette liaison d’un cher souvenir avec les lieux qui en sont remplis. C’est un des nôtres qui a dit avec une poésie éloquente :

Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé !


Mais l’amour exprimé dans ce vers, quelque pur qu’il soit, est un amour libre, dégagé de tout lien, même sacré. L’auteur du Journal de notre vie dans les Highlands a dans sa littérature nationale quelque chose de mieux approprié à la tendresse conjugale et qui semble fait pour lui et pour sa vie, heureuse d’abord, puis désolée. Il peut dire comme l’Eve de Milton : « Avec toi, tout me sourit et me plaît, le souille du matin est doux, doux également le chant matinal des oiseaux ; il est beau ce soleil quand il répand ses premiers rayons sur cette campagne aimable, sur le gazon et sur l’arbre, sur le fruit et sur la fleur, qui tous sont brillans de rosée. Elle est parfumée cette terre féconde après les douces ondées, elle est douce l’heure qui ramène le soir, douce également la nuit silencieuse avec les graves accens de cet oiseau qui chante, avec cette

  1. Voyez, dans The Contemporary Review de février 1867, un article de M. J. C. Colquhoun.