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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/312

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bale des sophistes n’est pas commune, et nous doutons qu’elle ait jamais un écho sérieux dans le monde philosophique proprement dit.

Si à toute force on voulait trouver quelque procédé qui ressemblât en quelque chose à la sophistique ancienne, c’est à la scolastique peut-être qu’il faudrait penser, sauf la sincérité incontestable des docteurs du moyen âge. Alors aussi on argumentait avec des mots, ou du moins avec de pures abstractions verbales sans rapport avec les réalités de la science positive. Alors on professait la dialectique du sic et non[1] de la meilleure foi du monde, avec la parfaite conviction qu’on était en possession de la vérité absolue et transcendante, par cela même qu’on parlait la langue d’une ontologie inintelligible. Enfin, si le père Gratry voulait absolument trouver des sophistes dans les rangs de la pensée moderne, pourquoi allait-il les chercher sur les hauts sommets de la spéculation métaphysique? Il n’avait qu’à descendre dans certaines officines de la littérature contemporaine; il aurait facilement rencontré ces écrivains mercenaires qui vendent leur esprit et leur talent à toutes les causes, mais surtout aux causes victorieuses. S’il lui répugnait de descendre si bas, il pouvait encore, en s’arrêtant dans la région moyenne de l’esprit superficiel et du goût sceptique, mettre la main sur ces faux sages qui ajustent leur langage aux convenances religieuses ou sociales du temps. Ces derniers ne se trouvent guère plus chez les libres penseurs, dont la franchise fait scandale, que chez les théologiens dont la foi exalte la passion. Bien qu’on les entende parler de religion et de spiritualisme avec éloquence, parfois même avec une onction qui ferait croire à leur sincérité, si les actes n’étaient là pour protester contre les maximes, on pourrait dire que ce sont les vrais sophistes du temps, tout en reconnaissant qu’ils ne vendent ostensiblement ni leur parole ni leur plume. Seulement, la politesse de notre temps ne permettant pas de leur donner une aussi odieuse qualification, les gens de foi et les gens de cœur se contentent de ranger dans la classe des politiques ces faux croyans et ces faux philosophes.

L’abbé Maret est un esprit calme, sensé, plus fait pour les analyses et les critiques de longue haleine que pour les vives et amères polémiques. C’est encore plus un philosophe qu’un théologien qui aime à laisser les questions de critique dogmatique et d’histoire religieuse pour les problèmes de philosophie pure. Il défend le spiritualisme plutôt que la théologie catholique, il réfute le panthéisme et l’athéisme plutôt que l’exégèse allemande ou française. C’est lui qui, par un sentiment de modération et de convenance qui lui est

  1. Sic et Non d’Abélard.