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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/313

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propre, a trouvé un barbarisme pour définir la critique dirigée par certaines écoles contemporaines contre le Dieu individuel et personnel du christianisme et du déisme. Antithéiste est un nom plus doux et moins effrayant, sinon aussi classique, que la dénomination d’athée. Sa méthode de réfutation est essentiellement philosophique, en ce qu’il remonte toujours aux principes des doctrines et les suit dans leurs dernières conséquences, sans en jamais forcer le sens ni exagérer la portée. C’est ainsi qu’il croit découvrir dans une explication empirique des idées de la raison la racine de la doctrine qui refuse une réalité objective à l’idée de l’Être parfait. C’est encore ainsi qu’il condamne logiquement au panthéisme toutes les doctrines de la philosophie contemporaine, même l’éclectisme, au grand effroi de son chef, par cela même que toutes tendent plus ou moins à réduire ou affaiblir la personnalité divine par la négation du surnaturel et par l’identification ou tout au moins l’accord nécessaire de la volonté divine avec les lois de l’ordre physique et de l’ordre moral.

Vient enfin le plus grand par le cœur, le père Lacordaire, le plus libéral de tous, à tel point qu’il en arrive parfois à bénir la révolution philosophique qui donna la liberté au monde moderne. Si celui-là défendit la cause de la liberté, ce ne fut ni par caprice, ni par nécessité, ni même par justice; il le fit par tempérament. Il l’aimait pour elle-même, et non pour les perspectives de salut et de triomphe qu’elle pouvait ouvrir au christianisme après les dures périodes d’oppression qui avaient pu servir à maintenir son empire. C’est là seulement ce qui l’intéresse et l’inquiète. Le salut du dogme en lui-même le préoccupe bien moins que le salut du dogme par la liberté. Il a pu, comme M. de Montalembert, s’arrêter devant la révolte où s’est retranché l’esprit plus fort et plus logique de Lamennais; mais il a gardé de cette généreuse jeunesse un amour de la liberté que les passions politiques n’ont ni altéré ni même fait taire un seul instant. Le chrétien et le libéral se confondent dans cette âme sincère et loyale au point de ne se contredire jamais dans les actes de sa vie privée et publique. Et si les deux hommes se sont parfois livré combat dans le for intérieur de sa conscience, lui seul a eu le secret de cette lutte intestine dont il a souffert. « Né dans un siècle troublé jusqu’au fond par l’erreur, j’avais reçu de Dieu une grâce abondante, dont j’ai ressenti dès l’enfance la plus tendre des mouvemens ineffables; mais le siècle prévalut contre ce don d’en haut, et toutes ses illusions me devinrent personnelles à un degré que je ne puis dire, comme si la nature jalouse de la grâce avait voulu la surpasser. Quand la grâce vainquit contre toute apparence il y a douze ans, elle me jeta au séminaire sans avoir pris le temps de me désabuser de mille fausses