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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/338

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leur idiome est plus harmonieux, elles inclinent plutôt vers les habitudes helléniques que vers les mœurs de leurs barbares aïeux.

Quoique les chants nous montrent le peuple bulgare tel que l’ont fait les diverses influences qui ont agi sur lui depuis son établissement dans la péninsule, il n’est pas impossible d’y retrouver des traces multipliées des opinions qui dominaient parmi les anciens Finno-Mongols. Cette race, bien plus que les Indo-Européens, vivait dans une intimité difficile à comprendre pour nous avec les existences inférieures qui forment une mystérieuse échelle entre l’humanité et le monde privé d’intelligence. Le nomade, perdu dans la steppe infinie, subit profondément l’action des êtres vivans dont il est entouré. L’oiseau qui connaît tous les sentiers de l’espace, le coursier qu’une force pareille à des ailes semble emporter aussi rapidement que l’oiseau[1], la bête fauve qui disparaît la nuit au milieu des grandes herbes en ne laissant dans l’imagination que des formes redoutables et confuses, tout ce monde qui, comme nous, prévoit, calcule, souffre et gémit, dit saint Paul, excite le plus vif intérêt dans l’âme de l’habitant du désert. Loin d’être porté à voir dans les animaux des êtres dignes de son dédain, il est frappé du mystère qui s’agite sous ces apparences diverses, tantôt gracieuses, tantôt effrayantes. La savante Égypte adora les terribles sauriens de la vallée du Nil, l’Inde brahmanique reconnut de bonne heure que les tribus de singes obéissent à des chefs absolus qui lui parurent des dieux, la tortueuse allure du « serpent venimeux » auquel les chants bulgares prêtent le don des larmes a frappé vivement l’imagination de tous les anciens peuples.

Parmi les animaux qui devaient surtout attirer l’attention des Finno-Mongols, le cheval occupait le première place. La patrie primitive du cheval s’étend depuis le Volga jusqu’à la mer de Tartarie, au nord de la Chine. On en rencontre encore d’innombrables bandes galopant sur les plateaux solitaires, où ils obéissent à un chef qui doit son rang à sa force et à son courage, qui marche toujours à leur tête dans les voyages comme dans les combats. Les Scolates, tribu scythique, passent pour avoir assuré à notre espèce « la plus noble conquête, » dit Buffon, « la plus importante conquête que l’homme ait faite, » dit Cuvier. La beauté, l’air de fierté, le courage héroïque, la mémoire, dont sont doués ces superbes animaux, frappèrent vivement tout l’ancien monde. Il faut, par un effort d’imagination, se pénétrer de ces sentimens des temps primitifs pour se rendre compte de la manière originale dont les chants bulgares parlent des chevaux, et aussi ne jamais perdre de vue qu’en Bulgarie le surnaturel le plus propre à déconcerter toutes

  1. Il n’est pas rare de voir les poètes bulgares donner des ailes au cheval.