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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/339

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nos idées trouve autant d’accès dans ces intelligences simples qu’au temps où les hordes de Krum faisaient trembler Byzance. On s’étonne souvent de la facilité avec laquelle les méridionaux acceptent les faits les plus propres à jeter dans l’ébahissement un bourgeois de Berne ou un gentleman d’Edimbourg. Cependant les Espagnols et les Italiens n’ont pu se soustraire à l’influence de la civilisation latine qui a produit les Lucrèce et les Cicéron, et dont la crédulité n’était pas assurément le caractère dominant; mais ni la philosophie grecque, ni la sagesse romaine, n’ont eu de prise sur l’intelligence de la société bulgare. La Grèce qu’elle a connue est la Grèce byzantine, aussi passionnée pour les miracles que les yoguis hindous et les talapoins de Siam. D’un autre côté, les Bulgares sont étrangers à la tendance qui préserve instinctivement les défians Albanais de tant d’illusions bizarres. Aussi les souvenirs des enseignemens qu’ils ont reçus des moines de Byzance se combinent-ils le plus naturellement du monde avec les croyances de leurs ancêtres. Sans doute saint Dimitri est un bon protecteur pour le ban Sokoula, fils de Sokol (faucon); mais le noble et intelligent coursier de Marko Kraliévitch lui rend, lorsqu’il veut enlever et épouser la fille du prêtre ÎSicolas, « brillante comme le soleil éclatant, » autant de services que les membres les plus puissans de la cour céleste.

Cette cour, installée au plus haut des cieux, a pour chef Jéhovah, désarmé de la foudre, confiée au terrible prophète de Tesbé[1]. Le « cher Dieu » est encore plus embarrassé que Zeus pour se rendre compte des événemens qui troublent notre planète, dont trois causes peuvent, à son avis, compromettre la paix. Si le proverbe grec dit « qu’au monde il y a trois fléaux : le feu, la femme et les eaux, » le Jéhovah bulgare remplace la femme par le Turc. Il charge ses anges d’aller voir lequel de ces trois élémens de ruine agite ce globe. S’il veut animer la matière inerte, il est également obligé d’employer le ministère des divins messagers pour transporter une âme dans « la pierre de marbre » trouvée sur la rive de la Mer-Noire, afin de réaliser le miracle que lui demande « l’orpheline Anna, » qui veut être à la fois vierge et mère. Sans jouer le rôle considérable attribué à Ormuzd dans les théories de Zoroastre, le soleil continue d’être personnifié comme dans les chants populaires des Hellènes et des Roumains. Après avoir épousé « l’aimable Anna, » le « splendide Soleil » prend pour compagne « l’Etoile du matin, » que la mère de l’astre du jour finit par chasser du palais de son fils. On le voit, la paix ne règne pas plus parmi les astres anthropoinorphisés par l’imagination naïve des Bulgares que parmi les dieux d’Homère. De pareils exemples nous préparent à trouver les principes con-

  1. « Quand tonne saint Élie, » dit le chant des Sept héros de l’Arabe.