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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/344

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plus propre que le mariage à triompher de l’humeur à la fois farouche et inconstante des samovilas. Cette même Giorgina et la samovila Erina se montrent de « fidèles sœurs d’adoption » quand Sekoula est aux prises avec un dragon à trois têtes. Elles volent l’une et l’autre au secours de leur frère, et l’épée de Giorgina, resplendissante et terrible comme le glaive de l’archange, taille en pièces le monstre. En résumé, les samovilas, si elles semblent, comme les vilas, vouloir défendre la nature contre les envahissemens de l’espèce humaine, si elles sont portées à ne céder leur domaine inviolé qu’à ceux qui leur font de douloureux sacrifices, paraissent parfois reconnaître que le dernier venu sur la scène du monde possède des formules capables de lui soumettre la création. Cet instinct a soutenu l’antiquité tout entière dans des luttes formidables contre les fléaux du monde physique et les attaques de la barbarie. Tous les peuples ont cru que l’homme pouvait par un procédé mystérieux, sur le caractère duquel on différait selon le degré de civilisation, — magie, miracle, prière, pénitence, — obliger les forces conjurées pour la destruction de l’individualité humaine à travailler à sa conservation dans une mesure plus ou moins grande. L’épée étincelante de la vila employée à préserver la vie humaine des attaques des fils informes et féroces du chaos exprime une conviction analogue.

Il est plus difficile de déterminer le rôle des dragons dans la mythologie bulgare que celui des samovilas. Du reste cette difficulté n’est pas particulière au mythe slave, dont l’étude est encore si peu avancée. Le dragon se retrouve dans toute la péninsule, et il est peu de croyances populaires qui n’attachent une grande importance aux étranges manifestations de ces monstres. Dans les chants bulgares, les combats qu’ils se livrent sont tellement acharnés que deux dragons qui se battent font couler sur les flancs de la montagne « deux fleuves d’un sang noir. » On ne doit pas leur demander de traiter les humains mieux qu’ils ne se traitent eux-mêmes. Du haut des nuages, au milieu de la tempête, de la pluie et des éclairs, ils peuvent fondre sur un village pour enlever les garçons dont la bravoure est l’espoir de leur mère et des paysans. C’est ainsi que deux dragons, « deux frères du ciel, » après un combat qui dure trois jours et trois nuits, enlèvent l’orphelin Prodan. Les lacs verts, où l’algue préparait aux premiers jours du monde le sol sur lequel devait s’épanouir une vie supérieure, cachent encore dans leurs sombres eaux les monstres nés du chaos. « Dans le lac est un insatiable dragon, — chaque jour il mange un homme. — Vient le tour de toutes les filles, — vient le tour de la fille du roi! » Ces mœurs et ces goûts n’empêchent point les] dragons d’être sensibles comme les farouches nymphes à la puissance de l’amour.