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elles des illusions peu fondées. « Consume-toi, jeune homme, et finis de te consumer; — finis de te consumer, réduis-toi en cendres! — Que ma mère ne me donne pas à toi, parce que tu es pauvre, — parce que tu es pauvre et que tu n’as pas de maison. » Le danger créé par de pareilles tendances consiste moins dans l’exaltation des passions que dans les tentations créées par la cupidité ou par la misère. Aussi le jeune Bulgare qui veut se faire écouter de Stanislava et qui la trouve peu disposée à prêter l’oreille aux tendres propos se hâte-t-il de lui parler d’un « voile doré » et d’un « collier de sequins, » langage qui eût certainement fait impression sur cette « belle Anna, » qui vend (on nous donne consciencieusement le prix de chaque objet) « sa blonde chevelure, ses sourcils délicats, ses yeux noirs, son blanc visage, son cou blanc, son corps bien formé. » Le désir, assurément fort légitime, de trouver un mari inspire heureusement au grand nombre des sentimens plus fiers. Un jeune homme non marié salue une jeune fille qu’il aperçoit le long de la route à l’ombre d’un arbre; « la petite jeune fille ne se leva pas — et ne lui répondit point. — Le jeune homme non marié dit — du haut de son rapide coursier : — Pourquoi ne te lèves-tu pas, ô petite jeune fille, — pourquoi ne parles-tu pas? — Je ne te connais pas, ô jeune homme à marier, — et je ne te réponds pas. » Parmi celles qui ne montrent pas la même froideur se manifeste pourtant avec une prudente promptitude l’intention de voir la galanterie se transformer en attachement sérieux : Neda se repose sous un berceau où la blancheur de son cou attire l’attention d’un jeune homme. « Il se mit à jaser et à caresser — le cou blanc de Neda. — Va-t’en, petit jeune homme, aimable garçon! — Puisque je me suis emparée de ton cœur, — cours chercher deux personnes qui me demandent à ma mère, — qui me demandent à mon père. »

Si une calme appréciation des choses, jointe au goût d’une existence occupée, est la meilleure disposition pour vivre heureux en ménage, on ne doit pas être surpris de voir les Bulgares s’accommoder si bien de la vie d’intérieur. Cet amour du foyer conjugal a exercé la plus curieuse influence sur les auteurs des chants, et il est bien évident qu’ils n’auraient jamais compris les doléances de cet homme d’état latin qui plaignait les Romains d’être obligés, pour donner des citoyens à la république, d’avoir des relations avec un sexe dont la perversité l’effrayait. De cette perversité, les excellens Bulgares ne se sont jamais aperçus. Ils n’ont pas non plus eu l’occasion de constater que la femme soit un être absurde et déraisonnable que les philosophes, que les prédicateurs et les politiques s’accordent depuis des siècles à accabler d’anathèmes. Dans une société où l’instruction des deux sexes est absolument nulle, on ne trouve point entre une fille et un garçon l’énorme différence