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qui existe ailleurs. Dans les pays latins, tandis que la première apprend à connaître les lois de l’univers dans des traditions religieuses nécessairement fort étrangères aux admirables découvertes de la science moderne, le second, à moins qu’il ne soit absolument dénué de toute intelligence, est obligé de se rendre un compte exact des principaux résultats obtenus par le gigantesque effort de l’esprit humain. Il s’habitue naturellement à considérer comme une espèce inférieure un sexe dont les appréciations diffèrent constamment des siennes, et parfois de la manière la plus étrange. Aux États-Unis, où l’homme est absorbé par un labeur sans relâche, c’est au contraire la femme qui s’occupe plus volontiers de livres et de sciences, et dans l’université féminine de Vassar female college on serait presque porté à prendre en pitié la grossièreté des habitudes viriles. Or la Bulgarie ne présente aucun de ces spectacles également frappans. Les deux sexes vivent dans une ignorance absolue, et le paysan bulgare étant plus disposé à s’en rapporter à son expérience qu’à toutes les théories, personne n’a encore découvert dans ce pays que « les femmes ont les cheveux longs et le jugement court. » Si l’opinion penche d’un côté, elle inclinerait plutôt du côté de la femme. Les chants nous montrent les fils consultant leurs vieilles mères au lieu de s’adresser à leur père, comme s’ils étaient plus sûrs de trouver chez elles tendresse et prudence réunies. Loin que la femme soit comprise au nombre des fléaux, les récits où l’imagination bulgare se montre le moins engourdie attestent que les Bulgares la croient particulièrement apte, à cause de son genre de vie plus favorable à la réflexion, à suggérer un sage conseil, à tirer d’embarras les plus habiles, et même à donner du cœur aux plus résolus. Telles sont l’épouse de Martin, « intelligente et accorte, » la femme de Nabdoula, les intrépides compagnes de Marko Kraliévitch et les épouses résolues de Raïko Boscovitch et de Salakim Todor. Sans doute, comme chez les autres Slaves du sud, la femme ne doit point voir, un égal dans le chef de la famille, assis sur le « haut divan; » mais ce personnage, dont de trop fréquentes libations troublent le jugement, est comme d’autres souverains qui, tout en faisant sonner bien haut les prérogatives d’un a ministre du ciel armé du glaive, » sont dans la pratique portés à penser qu’ils verront mieux par les yeux de leur vizir que par les leurs, et sont plus disposés à répéter avec l’emphase officielle qu’à prouver par des actes significatifs que leur sagesse est infaillible.

Avec de pareilles inclinations, le Bulgare est souvent un sujet d’étonnement pour les voyageurs ennuyés de le voir écouter avec une visible indifférence leurs théories religieuses ou politiques. « Sa femme et son champ, » ont dit des observateurs, telles sont les