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seules idées qui puissent entrer dans sa tête. En dehors du travail et du «cher bien » — nom affectueux donné, ainsi que celui de premier amour, à la compagne de sa rude existence, — il est en effet difficile de découvrir quelque idée capable de passionner le descendant de ces hommes fougueux qui ont montré tant d’ardeur contre les césars et contre les pontifes. Il ressemble à l’Israélite du moyen âge, qui, ne trouvant que des vexations dans une société aveuglée par l’ignorance et par le fanatisme, se réfugiait au foyer domestique, où il redevenait aux yeux d’une femme dévouée et d’enfans respectueux le fils de Juda, héritier des promesses faites par Jéhovah aux patriarches monothéistes. Ainsi le Bulgare, méprisé et rançonné par l’Ottoman, sur le morceau de terre qu’il arrose de ses sueurs, au foyer de cette cabane qui abrite pour lui des têtes chéries, se transforme en maître qui a le droit de commander à tous les membres de la famille comme leur chef vénéré; il est le chrétien qui par la protection du Christ relèvera, après des jours d’épreuve marqués par la volonté du ciel, un front trop longtemps humilié sous le joug de l’islam.

Parmi les nationalités chrétiennes de notre péninsule, la modeste société bulgare est celle qui de nos jours a été le moins prodigue de programmes. Il ne faut pas attacher une grande importance aux manifestes publiés à l’étranger, par exemple à Bucharest; ils contiennent les aspirations de ceux qui les ont rédigés plutôt que ceux de la nation. Il en est de même des fastueuses professions de foi qui voudraient nous représenter les Bulgares comme disposés à se lancer dans la voie des révolutions religieuses pour conquérir, avec l’appui de la papauté, la sympathie des peuples qui reconnaissent la suprématie de Rome. Nous ne sommes plus au XVIe siècle, époque de grands hommes et de fières résolutions, siècle qui produisait à la fois des Luther et des Ignace, des Calvin et des Xavier, et la Bulgarie ne se fera pas plus catholique que l’Italie ne deviendra protestante et l’Angleterre papiste. Si les Bulgares n’ont pas le goût de hardies combinaisons étrangères à l’esprit timide de notre génération, leur attention toutefois est nécessairement frappée de tout ce qui se passe autour d’eux. Combien de faits extraordinaires ont frappé leurs regards depuis le commencement du siècle! Au sud de l’Albanie, Ali-Pacha, ralliant la Toskarie autour de son drapeau, faisait courir au pouvoir des sultans des dangers de toute espèce, et en tombant il semblait léguer sa vengeance à une dynastie albanaise qui, après avoir relevé le trône des Pharaons, marchait audacieusement sur Constantinople, sauvée à grand’peine de ses mains redoutées par une intervention européenne. Au nord de l’Albanie, à la puissance des pachas héréditaires de Scodra suc-