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vés de sang; Harvey, ne se laissant point tromper par l’apparence, reconnut un fluide nourricier et une véritable circulation chez des mollusques et des crustacés. C’est là un des traits qui prouvent le mieux la profondeur d’esprit de l’habile expérimentateur : il ne se contente pas d’étudier le phénomène sur des chiens ou d’autres mammifères, il s’assure que le même phénomène existe chez les animaux les plus différens. Harvey a rendu encore à la science d’autres services considérables, car on lui doit d’intéressantes recherches sur la génération des animaux et cette assertion, merveilleuse pour son époque, que tout ce qui vit provient d’un œuf.

Depuis trois ans, Harvey démontrait publiquement la circulation du sang. à n’avait encore rien écrit, mais le bruit de sa découverte commençait à se répandre. Déjà on se figurait volontiers que presque tout était connu dans l’organisme de l’homme et des animaux supérieurs. On était surtout bien persuadé qu’il n’y avait que deux sortes de vaisseaux, les artères et les veines, à l’exclusion des nerfs, que les anciens regardaient aussi comme des vaisseaux. Tout à coup l’existence d’une troisième sorte de vaisseaux est annoncée; on était en 1622. La sensation fut grande dans le monde savant. Aujourd’hui les plus belles découvertes sont reçues avec assez d’indifférence, si elles ne semblent pas devoir conduire aussitôt à une application industrielle; mais on était au XVIIe siècle, et toutes les fois que l’esprit humain avait fait un pas, c’était une cause d’enthousiasme ou de véhémente contradiction de la part des gens éclairés.

Le 23 juillet de l’année 1622, Aselli, de Crémone, professeur à Pavie, voulant satisfaire à la demande de quelques amis qui désiraient voir certains nerfs, sacrifie un chien de belle mine et lesté d’un bon repas. La démonstration achevée, le professeur porte son attention sur les viscères de l’abdomen, et, plein de surprise, il voit sur tout le mésentère et sur les intestins de nombreux cordons du blanc le plus pur. « Frappé de la nouveauté du fait, dit Aselli, je gardai un moment le silence en songeant aux opinions diverses des anatomistes sur le rôle des veines mésaraïques; puis, prenant un scalpel aigu, je piquai l’un des plus gros cordons. A peine l’avais-je touché que je vis jaillir une liqueur blanche semblable à du lait. À cette vue, ne pouvant contenir ma joie, je m’écriai comme Archimède : J’ai trouvé! » A la distance de près de deux siècles et demi, une émotion gagne le cœur au récit de l’anatomiste de Crémone. On éprouve un vif plaisir devant l’expression touchante du bonheur de l’intelligent observateur, ravi d’avoir vu le premier ce que personne n’a vu encore, et heureux surtout d’avoir conquis une vérité destinée à porter la lumière sur un des plus importans phéno-