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établi à Halai, petite ville située près de l’extrémité septentrionale du plateau abyssin. Négousié avait su gagner aussi les sympathies du gouvernement français, auquel il avait offert de céder la baie d’Annesley, qui pouvait devenir le centre d’une colonie. Un bâtiment de notre marine fut même envoyé dans ces parages pour en faire la reconnaissance au mois de décembre 1859; mais l’officier qui commandait cette mission trouva l’intérieur de la contrée dans un tel état d’anarchie que tout projet d’établissement sur la côte fut sagement ajourné. Vers cette époque, au mois de mars 1860, comme Plowden avait pris congé de Théodore et revenait à Massaoua avec l’intention de retourner en Angleterre, l’infortuné consul, surpris par un chef nommé Garred, l’un des partisans de Négousié, fut blessé et fait prisonnier. Théodore s’empressa de payer pour lui une rançon de 1,000 dollars, et le fit ramener à Gondar; mais Plowden y mourut de ses blessures au bout de quelques jours. La vengeance ne se fit pas attendre. Six mois plus tard, après la saison des pluies, Théodore envahit le Tigré avec une nombreuse armée. L’avant-garde était commandée par John Bell, que la mort de son compatriote avait exaspéré. Les deux adversaires se rencontrèrent au mois de janvier 1861. La mêlée fut sanglante; Bell y périt à son tour. Par compensation, l’empereur, victorieux, fit égorger Négousié, ses chefs et la plupart de ses partisans. On raconte que les vaincus s’étaient réfugiés en grand nombre dans les églises d’Axoum. Théodore n’osait pas violer ces asiles sacrés. Il promit pardon et amnistie sans restriction à tous ceux qui sortiraient de leurs refuges pour se joindre à lui. Presque tous se fièrent à cette promesse solennelle; mais ils n’eurent pas plus tôt rejoint le camp impérial qu’ils furent livrés au bourreau ou envoyés chargés de chaînes dans quelque fort de la montagne.

On prétend que jusqu’à l’époque de la mort de Bell la conduite du roi des rois d’Ethiopie avait été presque irréprochable. Il ne faut pas juger, bien entendu, les potentats de ce pays d’après la même mesure que les souverains de l’Europe. Les habitans de l’Abyssinie ont beau être supérieurs à leurs voisins de l’Afrique centrale et appartenir à la grande famille chrétienne, il n’en est pas moins vrai qu’ils sont fourbes et cruels par nature. Les uns disent que Théodore avait dissimulé ses mauvaises qualités tant qu’il ne fut pas seul maître de l’Abyssinie, d’autres veulent reconnaître dans ses premiers succès l’influence toute-puissante des deux Anglais qui le dominaient, d’autres encore croient qu’une fois débarrassé de ses rivaux il fut enivré par la toute-puissance. Il est certain que sa prospérité ne fut pas de longue durée. Les voyageurs qui ont parcouru les montagnes de l’Ethiopie s’accordent à vanter la fertilité