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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/429

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du sol et la douceur du climat. A les croire, il ne manquait à cette malheureuse contrée, ravagée par les guerres intestines, qu’un maître énergique capable d’y maintenir la paix. Ce maître était trouvé. Quel usage allait-il faire du pouvoir absolu? Bien qu’il eût un talent militaire incontestable, le négus était un mauvais administrateur. Il devait la couronne à son armée. Lorsqu’il n’eut plus de rivaux sur le sol de l’Abyssinie, cette armée était plus nombreuse que jamais, car elle s’était accrue de tous les partisans des chefs détrônés. Il n’osait renvoyer ces soldats dans leurs villages, de crainte qu’ils ne fussent enrôlés par de nouveaux prétendans, ou plutôt, à l’exemple des grands capitaines du passé, il rêvait des conquêtes plus étendues. L’armée d’Abyssinie se composait de 150,000 combattans; comme toutes les armées de l’Orient, elle ne marchait pas sans être accompagnée d’une foule de serviteurs, de femmes et de fournisseurs trois ou quatre fois aussi considérable. Or, si l’on considère que la population totale de la contrée est évaluée à 3 millions d’âmes, on en conclura tout de suite que le quart de cette population était sans cesse à la suite du souverain, nourri, vêtu et payé aux frais des trois autres quarts. Aussi les paysans, épuisés, cessaient de cultiver la terre et se retiraient dans les ravins inaccessibles ou dans le haut pays. Cependant ces troupes, si nombreuses et si exercées qu’elles pussent être, n’étaient guère redoutables. En face de soldats façonnés à l’européenne, ce n’était plus qu’une horde indisciplinée. Un jour, Théodore s’avisa d’envahir le Soudan, qu’il voulait arracher aux Turcs d’Egypte. Près de Gédarif, petite ville des frontières de la Nubie, il se heurta à une poignée d’irréguliers du vice-roi qui le refoulèrent sans peine dans la montagne. Comprenant son impuissance en face des armées civilisées, il eut le bon sens de vouloir améliorer ses moyens d’attaque, et fit tout ce qu’il put pour attirer dans ses états des artisans européens.

L’Angleterre avait accrédité en Abyssinie un nouveau consul en remplacement de Walter Plowden. C’était le capitaine Charles Duncan Cameron, qui arriva au mois de février 1862 à Massaoua. Ce port de mer devait être sa résidence officielle. Il apportait à Théodore une lettre de lord Russell, qui remerciait le roi des rois d’Ethiopie au nom de la reine d’Angleterre des soins qu’il avait donnés à Plowden, et le priait d’accepter comme témoignage de reconnaissance une carabine et une paire de pistolets. Évidemment le cabinet anglais ne prenait pas Théodore au sérieux. Au reste, les instructions du nouveau consul lui enjoignaient d’agir avec une extrême réserve, et d’éviter surtout toute ingérence dans les affaires intérieures du pays. Cameron se rendit à Gondar, remit au roi les pré-