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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/451

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à gauche du pays d’alentour. Le Bachilo coule devant ces hauteurs, que l’on ne peut aborder que d’un côté. Sur l’un de ces pics s’élèvent les remparts de Magdala; sur un pic voisin, que l’on appelle le Selassié, il n’y a qu’une église; entre les deux et à un niveau un peu inférieur s’étend le petit plateau de Selagmi, qui est pour ainsi dire le champ de manœuvres de la forteresse. C’est là que l’armée de Théodore était campée. Cette position est très forte, et ne serait à coup sûr jamais emportée d’assaut, si elle était défendue par des troupes européennes. Elle est située en dehors de l’Abyssinie proprement dite, car le Bachilo a été de temps immémorial la limite entre la population chrétienne de l’Ethiopie et les tribus musulmanes des Wollos Gallas. Théodore s’était emparé de ce lieu et l’avait mis en état de défense, il y a douze ans à peu près, lorsqu’il songeait à s’agrandir vers le sud. En réalité, il n’avait jamais été maître incontesté de cette province; mais, l’endroit étant sûr et bien fortifié, il en avait fait sa prison d’état. Des prisonniers de toute catégorie, Européens et indigènes, malfaiteurs et adversaires politiques, y étaient renfermés en grand nombre.

Le vendredi saint, 10 avril 1868, l’avant-garde descendait de grand matin du plateau de Talanta au fond du ravin de Bachilo sous le commandement du général sir Charles Staveley. Sir Robert Napier avait donné l’ordre de remonter l’autre côté de la vallée et de venir prendre position sur les pentes du Selassié. A quatre heures du soir, tout était encore calme et silencieux sur les crêtes de Magdala et de Selagmi. Les troupes anglaises, infanterie et artillerie, s’échelonnaient sur les deux flancs du ravin. Un coup de canon retentit soudain du haut de la montagne, et des milliers d’hommes, apparaissant au sommet, se jetèrent avec impétuosité sur les bataillons européens. La mêlée ne fut pas longue, parce qu’un violent orage et bientôt après la nuit séparèrent les combattans; le résultat fut désastreux pour l’armée abyssine. Des 6,000 hommes qui avaient été engagés du côté de l’ennemi, 800 tués et 1,500 grièvement blessés gisaient sur le terrain; l’élite des troupes de Théodore avait combattu, et à leur tête se trouvait son meilleur général. Du côté des Anglais, qui avaient eu 1,600 hommes en ligne, il n’y avait que 20 blessés. C’est que ceux-ci, outre le sang-froid et la discipline d’une troupe européenne, avaient entre les mains la terrible carabine Snider, l’arme nouvelle de leur infanterie, qui parut ce jour-là pour la première fois sur le champ de bataille, et s’y montra la digne émule des fusils à aiguille de France et de Prusse[1]. Les Anglais, après cette sanglante affaire, passèrent la

  1. Voici ce qu’en rapporte le correspondant du Times : « Quant à décrire le combat lorsque les carabines Snider furent entrées en scène, ce serait décrire une battue. Les décharges, qui se succédaient sans interruption avec des coups secs et nets, furent le glas funèbre de la cause de l’Abyssinie. Nos malheureux ennemis tombaient comme l’herbe sous la faux. »