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la douleur de voir ses derniers soldats se débander. Seize compagnons seulement lui restaient fidèles. C’est avec cette poignée d’hommes qu’il s’enfermait dans la forteresse. A deux heures de l’après-midi, l’artillerie était mise en batterie devant les murs de Magdala; deux heures après, une colonne s’élançait à l’assaut et pénétrait dans la place. Dès que le premier soldat anglais apparut au sommet de la muraille, Théodore mit un pistolet entre ses dents, fit feu et tomba mort.

La guerre était finie. Le 17 avril, on fit sortir de Magdala les habitans et les soldats désarmés qui s’y étaient réfugiés, puis on fit sauter les murailles, et les édifices furent livrés aux flammes. D’épaisses colonnes de fumée témoignèrent au loin que l’Angleterre s’était vengée. Les éléphans et la grosse artillerie étaient déjà partis en avant, le reste de l’armée repassait le 18 le Bachilo pour revenir à la côte. Il fallait se hâter, les pluies rendaient déjà les chemins presque impraticables. Sir Robert Napier arrivait à Antalo le 13 mai, à Addigerat le 21, et se retrouvait sur les bords de la Mer-Rouge aux premiers jours de juin. Les troupes étaient embarquées à mesure qu’elles descendaient des hauteurs de Sénafé. Bientôt il ne restait plus en Abyssinie qu’un ou deux régimens hindous que l’on avait résolu de laisser quelque temps à Zullah pour observer les événemens.

Telle a été cette guerre d’Abyssinie si diversement appréciée en France et même en Angleterre pendant les huit mois qu’elle a duré. Les uns la considéraient comme une velléité belliqueuse, d’autres y voulaient voir un prétexte d’annexion fondé sur les motifs les plus futiles. Les politiques à longue vue devinaient de perfides machinations conduites obscurément depuis plusieurs années et aboutissant tout à coup à une occupation du territoire abyssin à l’heure précise où le percement de l’isthme de Suez semble accroître l’influence française en ces parages. Rien de tout cela n’est exact. Le récit des faits montre d’une façon assez claire que personne en Angleterre n’a désiré cette expédition, et que l’Abyssinie ne tenait qu’une place secondaire dans les préoccupations des hommes d’état de la Grande-Bretagne jusqu’au jour où la lutte est devenue inévitable. Que serait-on allé chercher dans ce pays? Un port? La côte n’en présente aucun qui soit une position stratégique dans la Mer-Rouge. Un marché? On n’en conquiert point par les armes. Un royaume à coloniser? Le littoral est malsain et l’intérieur est d’un accès difficile. La question d’Abyssinie n’est devenue grave que parce qu’elle a été mal conduite. Elle peut être comparée à ces maladies légères que l’on néglige au début et qui aboutissent à une catastrophe soudaine au moment où l’on ne s’y attend pas. Après