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surprend au vrai les sentimens de l’ouvrier, ses rêves, ses ambitions, et jusqu’à un certain point sa politique.

Quelques mots d’abord sur l’origine et la nature de ces documens. Née dans le bruit, l’Association internationale des travailleurs ne pouvait vivre que par le bruit; elle en a mené autant qu’elle a pu. Son mot d’ordre était : ligue universelle des salaires, avec la grève comme arme de combat. A l’aide d’un fonds commun puisé un peu partout, en France, en Angleterre, en Suisse, en Allemagne, elle ne parlait de rien moins que de mettre en interdit toutes les industries qui lui résisteraient, et la menace n’a pas toujours été vaine. Point ou peu de grèves qu’elle n’ait assistées de ses conseils ou de ses deniers, — grèves des vanniers et des ouvriers en bronze à Paris, des mécaniciens de Londres, des tisserands de Roubaix, des mineurs de Fuveau, dans les Bouches-du-Rhône. Se partageant la besogne, des agences procédaient aux affiliations, opéraient les rentrées, gardaient la haute main sur la discipline et la doctrine, tout cela à découvert et non pas mystérieusement, comme on pourrait le croire. Siège de l’œuvre, heures des séances, procès-verbaux, correspondances, rien qui ne fût ostensible : la partie se jouait cartes sur table avec une tolérance administrative qui pendant quatre ans ne s’est pas démentie. Ainsi en fut-il du moins pour le groupe formé à Paris, et qui vers la fin de l’année dernière dépassait le chiffre de mille adhérens. Comment, après cette longue entente, un désaccord est-il survenu? Pourquoi a-t-on jugé repréhensible ce qu’on s’était habitué à regarder comme inoffensif? Autant d’énigmes que nous n’essaierons pas de pénétrer. Toujours est-il que les rapports se sont aigris, et que l’association en est à son troisième procès : elle en soutient bravement le choc, épuise les degrés de juridiction, voit les amendes et les mois de prison frapper ses bureaux, qu’elle renouvelle à mesure que la justice les met hors de combat, et doit avoir au moins une vingtaine de ses membres déjà impliqués dans les instances qui se succèdent. À cette occasion, quelques vérités s’échangent, et les ouvriers exhalent leur humeur dans des mémoires à consulter débités à l’audience. Les idées n’en sont pas toujours justes, et la forme en est un peu ambitieuse : il y manque ce qui s’acquiert le moins facilement, le naturel ; mais on y trouve sur les affaires du temps des éclaircissemens que rien ne supplée et qu’on chercherait vainement ailleurs.


I.

Les chefs de poursuite sur lesquels l’Association internationale avait à se défendre indiquent ce qu’une tolérance antérieure ré-