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pandait d’embarras dans le procès. Sur le chef de société secrète, la magistrature était presque désarmée par une déclaration en forme que les intéressés avaient déposée à la préfecture de police, et quant au chef de réunion non autorisée au-dessus de vingt personnes, une sorte de prescription semblait y répondre au moins comme circonstance atténuante. Aussi le ton des poursuites fut-il d’abord très doux, presque paternel, comme il convient quand on a fait jusque-là bon ménage ensemble; ce n’était guère qu’un avis officieux qui eût été suivi d’un désistement, ou tout au plus d’une amende insignifiante, si les associés eussent consenti à se dissoudre de bonne grâce. Les rigueurs ne commencèrent que lorsqu’on les vit résolus à persister malgré tout, à fortifier leurs cadres, à tenir pour un droit ce qui n’avait été qu’une faveur. Ce fut dans ces dispositions que les plaidoiries s’engagèrent, et les prévenus surent enfin en quoi ils avaient démérité. Point de griefs directs, du moins n’en indiquait-on pas de tels; des griefs indirects seulement. Les associés de France portaient la peine d’excès commis par les associés de la Suisse romande dans une grève des travaux du bâtiment; quelques ouvriers là-bas avaient usé de violence, ceux de Paris en essuyaient la responsabilité.

Des incidens de la poursuite, il n’y a que celui-ci à retenir; il touche à une question générale, à une des plus sérieuses qu’on puisse agiter. C’est un exemple de cette liberté sous conditions qui s’est depuis quinze ans appliquée à tant de choses, et qui, dans un retour à des institutions régulières, doit disparaître de tous les postes obscurs où elle s’est retranchée. Au fond, le prétexte dont on s’est armé pour atteindre l’Association internationale n’était ni juste ni juridique; il n’y aurait eu de juste et de juridique que la mise en interdit de la société dès le moment où elle a paru. Peu importait qu’elle eût abusé, si c’est pour sa constitution seule qu’on l’incrimine; cette constitution n’est pas plus illégale aujourd’hui qu’elle ne l’était à son premier jour. On a sévi trop tard ou trop tôt, trop tard dès qu’il y avait irrégularité formelle, trop tôt dès qu’on avait fermé sciemment les yeux sur cette irrégularité. Les inculpés étaient fondés à dire, ce qui n’a pas manqué, qu’on leur avait tendu un piège, et qu’au bout de tant d’encouragemens le bénéfice le plus net pour eux était la prison et l’amende. Mieux eût valu les arrêter à temps, avant qu’ils se fussent liés d’honneur avec les ouvriers étrangers pour un concours qui devait profiter à la civilisation et donner à la paix du monde un fondement moins fragile que les protocoles de la diplomatie. Ainsi parlaient ces hommes dans un langage mesuré, et ils ajoutaient avec un peu d’amertume qu’on les avait mis dans cette triste alternative ou de déserter la