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ma course tout seul, comme Bou-Maca, sauf à tomber en chemin et à mourir sur quelque lit de mousse et de fleurs, au grand air et en pleine solitude, ce qui m’a toujours paru la plus douce et la plus décente mort que l’on puisse rêver, je forçai ma pauvre machine à obéir aux injonctions aveugles de ma volonté. J’eus chaud et froid, faim et soif, dépit et résignation; j’eus des envies de pleurer quand j’essayais en vain de gravir un escarpement, des envies de crier victoire quand j’avais réussi à le gravir. L’attente muette et stoïque de la guérison ne m’avait pas rendu un atome de force musculaire. La volonté de ressaisir à tout prix cette force me la rendit, et je me souviens encore de ceci : c’est qu’au retour d’une excursion assez sérieuse, je vins m’asseoir sur ce banc en me débitant l’axiome suivant : décidément, la patience n’est pas autre chose qu’une énergie.

J’avais peut-être raison. L’inertie glacée de l’attente du mieux n’amène que le dépérissement. La volonté d’être et d’agir en dépit de tout nous fait vaincre les maladies de langueur du corps et de l’âme; j’ai encore vaincu, l’an dernier, un accès d’anémie en n’écoutant que le médecin qui me conseillait de ne pas m’écouter du tout.

C’est bien aussi ce que me conseillait le docteur qui m’a soignée ici il y a sept ans, et que j’ai retrouvé hier soir plus jeune que moi, toujours charmant, sensible et tendre. Je l’aimai à première vue, cet ami des malades, cet être aimable et sympathique qui apporte la santé ou l’espérance dans ses beaux yeux septuagénaires, toujours remplis de cette flamme méridionale si communicative. Certains vieux médecins de province sont des figures que l’on ne retrouvera plus : Lallemant et Cauvières, qui sont partis au milieu d’une sénilité adorable, Auban à Toulon, Maure à Grasse, Morère à Palaiseau, Vergue à Cluis, et tant d’autres qui sont encore bien vivans et solides, et qui exercent dans leur milieu une sorte de royauté paternelle. Jamais riches, ils ont pratiqué la charité sur des bases trop larges; tous aisés, ils n’ont pas eu de vices; tous hommes de progrès, fils directs de la révolution, ils ont traversé dans leur jeunesse les déboires de la restauration, ils ont lutté contre la théorie de l’étouffement, ils luttent toujours : ils ont été hommes du temps qu’on mettait sa gloire à être homme avant tout. Ils sont devenus savans avec un but d’apostolat qu’ils poursuivent encore en dépit de la mode qui a créé le problème de la science pour la science, comme elle avait inventé l’art pour l’art dans un sens étroit et faux.

Nos jeunes savans d’aujourd’hui mûriront et poseront mieux la question, car elle a son sens juste et son côté vrai; mais ils seront