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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/482

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imprégnées de soleil. La couleur est donc ici aussi riche que la forme, et les masses de la végétation, en suivant le mouvement heureux du sol, se composent comme pour le plaisir des yeux. Une belle route traverse le sanctuaire en suivant les bords du ravin principal, et, des points les plus élevés de son parcours, permet de plonger sur les grandes ondulations qui aboutissent à la mer. Qu’elle est belle, cette mer cérulée qui, partant du plus profond du tableau, remonte comme une haute muraille de saphir à l’horizon visuel! A droite se dressent les alpes neigeuses, autre sublimité qui fascine l’œil et le fixe en dépit des plantes qui sourient à nos pieds et sollicitent notre attention. Dis-moi, cher naturaliste, notre maître, si le papillon, qui a tant de facettes dans son œil de diamant, peut voir à la fois la terre et le ciel, l’horizon et le sol qu’il effleure? Il est bien heureux, le papillon, s’il peut saisir d’emblée le grand et le petit, le loin et le proche ! Ah ! que notre œil humain est lent et pauvre, et avec cela la vie si courte !

Les arbres sont très beaux dans l’Estérel, on y échappe à la monotonie des grands oliviers, bien beaux aussi, mais trop répétés dans le pays. Sauf le liège, les essences de la forêt de l’Estérel sont, à l’espèce près, celles de nos régions centrales. Les châtaigniers paraissent se plaire surtout vers le centre. C’est là que nous nous arrêtons au hameau des Adrets, toujours orné de son poste de gendarmerie, comme d’une préface de mélodrame. La route était dangereuse autrefois, mais Frederick Lemaitre a tué à jamais sa poésie. Le lieu n’évoque plus que des souvenirs de tragédie burlesque.

Elle est pourtant sinistre cette auberge des Adrets, et les auteurs du drame qui en porte le nom l’ont parfaitement choisie pour type de coupe-gorge. Elle en a tout le classique, surtout aujourd’hui que la cuisine est fermée et abandonnée. Pourquoi? On ne sait. A force d’entendre les voyageurs plaisanter sur la mort fictive de M. Germeuil, les propriétaires se sont imaginé qu’on leur attribuait un crime réel. La porte principale est barricadée, les habitans du hameau regardent avec défiance et curiosité les tentatives que l’on fait pour entrer. Ils sourient mystérieusement, ils affectent un air moqueur pour répondre aux moqueries qu’ils attendent de vous. Il faut que certains passans les aient cruellement mystifiés. On frappe longtemps en vain, enfin les hôtes vous demandent sèchement ce que vous voulez et consentent à vous conduire dans une salle de cabaret véritablement hideuse. Elle est sombre, sale et barbouillée de fresques représentant des paysages, des scènes de pêche et de chasse d’un dessin si barbare et d’une couleur si féroce qu’on est pris de peur et de tristesse devant cette navrante parodie de la nature. Ceci est la nouvelle auberge soudée à l’ancienne, que l’on