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économique à travers laquelle on distingue le progrès ou le déclin des industries. Chaque page a son éloquence, et le total, c’est ce qu’il en coûte pour être un grand pays, surtout un grand pays gouverné longtemps avec un abandon un peu prodigue. Malheureusement, et voici tout de suite une difficulté première, il semblerait presque qu’on fait ce qu’on peut pour dérouter l’investigation, pour obscurcir et compliquer cette histoire chiffrée. Un budget ordinaire ne suffit pas, il faut un budget rectificatif, un budget spécial, un budget extraordinaire ; voilà encore maintenant un budget particulier pour l’emprunt qui va être émis, si bien que le livre du monde qui devrait être le plus clair, le plus transparent, le plus accessible à tous, est le plus indéchiffrable, le plus énigmatique, et a besoin d’un commentaire périodique qui vienne porter un peu de lumière dans cette comptabilité si savamment compliquée.

Ce commentaire, c’est la discussion qui a lieu tous les ans au sein du corps législatif, et cette année la discussion du budget a pris un intérêt tout nouveau, elle se ressent de ce réveil de l’esprit de contrôle que nous signalions l’autre jour, et peut-être aussi de l’approche des élections, qui ne laisse pas de rendre aux élus du pays une certaine ardeur dans la recherche des économies. Ce n’est point M. Thiers qui a besoin de ce dernier stimulant. Avec cette lucidité d’un grand esprit qui connaît les affaires d’état pour les avoir pratiquées et pour les avoir étudiées dans l’histoire, il sait le prix de bonnes finances pour un pays qui tient à garder sa situation dans le monde, et depuis qu’il est entré au corps législatif il s’est attaché avec une véritable passion à l’étude des budgets ; il a réussi dans ces dernières années à raviver le sentiment de la responsabilité en matière financière. M. Thiers a été précédé ou suivi cette fois par des membres distingués de la majorité, comme M. Louvet, M. de Talhouet, par des membres de l’opposition comme M. Magnin, M. Émile Ollivier ou M. Jules Favre, et il a trouvé dans le ministre des finances lui-même, M. Magne, un contradicteur à l’esprit modéré, à la parole élégante et claire, fait pour soutenir cette lutte de chiffres, de telle sorte que de tous côtés l’étude a été aussi animée qu’approfondie. Cette étude, disions-nous, a été d’une nouveauté singulière par la liberté avec laquelle elle s’est produite, et elle a conduit à des résultats significatifs. Le premier de ces résultats, et M. Magne en est convenu avec une parfaite bonne foi, c’est de reconnaître la nécessité de ramener nos budgets à un ordre plus rationnel, de simplifier cet organisme multiple et confus, qui n’est pour le gouvernement qu’un moyen aussi dangereux que spécieux de se faire illusion à lui-même en déguisant au pays par une subdivision à l’infini le poids des charges publiques. Rien n’est plus facile que d’additionner, dit-on. Oui, mais on n’additionne pas ; si on additionne, on perd le fil en chemin, on confond les chiffres, on s’égare dans un dédale de supputations et de défalcations, on finit par se décourager à la pour-