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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 juillet 1868.

Un jour Napoléon, qui avait des passions d’exactitude jusque dans les rêves les plus exaltés de son ambition, et qui portait des rigueurs mathématiques jusque dans ses conceptions les plus démesurées, Napoléon écrivait à son frère Joseph, dont il voulait secouer l’élégance un peu molle : « Lisez-vous vos états de situation ? Moi, je lis mes états de situation avec le même plaisir qu’une jeune fille éprouve à lire un roman… » il parlait ainsi. Les états de situation de ses troupes, puisque c’est le mot administratif, étaient ses romans. À travers ces chiffres, muets pour d’autres, il voyait se dessiner ses plans de bataille, se mouvoir sa pensée enflammée.

Un budget est aussi un roman, ou, pour mieux dire, c’est une histoire aussi instructive que véridique. Pour qui sait y lire, c’est le cadre à la fois précis et flexible de la vie d’une nation. Les chiffres prennent un sens et un langage, ces hiéroglyphes s’animent merveilleusement. Comparez le montant d’un budget d’il y a vingt ans à ce qu’il est aujourd’hui, c’est tout un drame aux péripéties infinies. Dans ce chiffre toujours croissant de la dette, que de guerres, que de sang versé ! C’est peut-être de la gloire parfois, et c’est aussi le désastre d’une campagne « malheureusement terminée, » il faut bien l’avouer aujourd’hui. Cet emprunt nouveau qui va grossir le grand-livre, c’est le maussade bilan des déceptions d’une année où la politique n’a su rien faire ni rien empêcher. Ce chiffre pour les cultes, c’est la rançon des rapports de l’église et de l’état, d’une alliance qui ne fut pas toujours favorable à la liberté des peuples. Ce maigre contingent pour l’instruction publique laisse voir ce qu’il y a encore à faire dans un pays où le citoyen, qui est déjà électeur, ne sait même pas écrire son nom ou lire le bulletin qu’il jette dans l’urne. Ce chiffre des douanes, c’est le résumé d’une immense expérience