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la vie de sa mère, la duchesse d’Ayen, et c’est Mme de Lasteyrie racontant à son tour, avec autant de facilité que de grâce, la vie de sa mère, Mme de Lafayette. L’une et l’autre, la mère et la fille, étaient de cette race de femmes qui ont le cœur droit et l’esprit fin. Une fortune étrange avait placé auprès de celui qui est resté comme un type légendaire de notre révolution une des personnes les plus accomplies de cet ancien régime expirant. Cette aimable femme était toujours restée passionnément attachée à son mari, elle l’avait accompagné dans sa prison d’Olmutz, elle le suivit jusqu’au bout dans sa destinée, et cette image que nous rend Mme de Lasteyrie semble revivre comme pour marquer la distance qu’il y a entre la société d’autrefois et les sociétés actuelles, occupées de tant d’autres choses, envahies par des mœurs et des sentimens qui ne sont pas toujours du beau monde.

Certes, de tous les pays qui sont aujourd’hui à la recherche de la paix et de la liberté dans leurs institutions et dans leur vie, l’Espagne est un de ceux qui ont le moins de chance ou, pour parler plus vrai, un de ceux qui s’arrangent le mieux pour ne pas réussir. On dirait que l’Espagne, au lieu de placer son idéal en avant et de suivre un mouvement de progrès régulier, a entrepris de rétrograder et de se faire un régime d’absolutisme indéfinissable, tempéré par des menaces incessantes de révolutions. Les gouvernemens de Madrid ont si bien fait depuis quelques années qu’ils sont parvenus à isoler leur pays du reste de l’Europe. On semble ne plus s’intéresser à ce qui se passe au-delà des Pyrénées, on ne croit plus à la vérité des déclarations officielles, c’est le résultat inévitable d’une suspension à peu près complète de toute liberté. Il se fait ainsi sur les affaires d’Espagne un silence à peine interrompu de temps à autre par le bruit de quelque insurrection qui vient d’éclater ou de quelque conspiration qu’on vient de découvrir. Aujourd’hui encore voilà qu’on vient de mettre la main sur un certain nombre de chefs de l’armée qui sont probablement accusés de quelque chose, quoiqu’on ne sache pas au juste de quoi, et qui sont dispersés un peu sur tous les points. Ils ne sont pas arrêtés, non certainement, — ils n’ont fait que passer dans les prisons de Madrid pour être immédiatement expédiés sous bonne escorte aux Canaries, aux Baléares, dans les résidences les plus éloignées, où ils restent internés par mesure de police militaire. Et quels sont ces hommes ? Ce sont tout simplement ceux qui ont joué le plus grand rôle depuis quelques années, et qui sont le plus connus par leurs services : un ancien président du sénat, le général Serrano, duc de La Torre, qui en 1866 risquait dix fois sa vie dans une insurrection pour sauver le trône de la reine Isabelle, le général Zavala, un ancien compagnon d’O’Donnel dans la guerre du Maroc et au ministère, le général Dulce, le général Cordova lui-même, quoique notoirement modéré, le général Echague, le général Ros de Olano, le général Serrano Bedoya, et bien d’autres encore, sans parler de tous les officiers pris obscurément pour