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être envoyés on ne sait où. Comme ce n’était pas assez, le duc et la duchesse de Montpensier, résidant habiluellement à Séville, ont été embarqués du même coup, et sont envoyés en Angleterre pour aller respirer l’air d’un pays libre. Après cela, M. Gonzalez Bravo, président du conseil, et M. Pezuela, capitaine-général de Madrid, ont bien évidemment sauvé encore une fois l’ordre et la société en Espagne ! Ce n’est pas leur premier exploit, et ce ne sera pas le dernier, s’ils ne sont arrêtés en chemin.

Nous ne voudrions parler que sérieusement d’un pays qui a tant de qualités brillantes et fortes, qui est si bien fait pour grandir ; par malheur ses gouvernemens, depuis quelques années, lui font trop souvent un piètre rôle devant l’Europe. Depuis que le général Narvaez est mort, il y a quelques mois, M. Gonzalez Bravo est resté, on le sait, président du conseil, le cabinet a été fort peu modifié, et ce n’est pas l’entrée d’un poète dramatique, M. Rodriguez Rubi, au ministère d’outre-mer qui a pu sensiblement changer la politique. Or qu’a fait le gouvernement ? Il n’a réussi qu’à prolonger une situation violente à laquelle il n’a même pas toujours laissé des dehors sérieux. Dans ces derniers temps en effet, le cabinet de Madrid était fort occupé à se distribuer des titres et des décorations. Un ancien ami du général Narvaez, M. Marfori, a été fait marquis de Loja. Un autre ministre, M. Orovio, a eu aussi son marquisat tout comme le ministre de la justice, M. Roncali, qui a été fait grand d’Espagne. La toison d’or n’a pas été oubliée dans les distributions. Le cabinet en était à ces passe-temps, lorsqu’il s’est cru tout à coup en face d’un danger qui pouvait bien être réel, quoiqu’il ne soit pas plus imminent aujourd’hui qu’hier, et qu’il ne vînt pas surtout d’une conjuration organisée. Ce danger, c’était un rapprochement opéré entre les partis libéraux, progressistes, membres de l’union libérale, modérés non convertis à l’absolutisme. Il y a deux semaines, un journal progressiste, la Nueva Iberia, publiait un article hardi qui annonçait la fusion accomplie, et semblait inaugurer une nouvelle ère d’action. C’est alors que le ministère se hâtait de mettre la main sur les généraux les plus marquans de l’union libérale, qu’il redoutait sans doute plus que les autres. Mais cette coalition d’opinions eût-elle pris le caractère d’une conspiration véritable, comment le duc et la duchesse de Montpensier pouvaient-ils se trouver impliqués dans ces complots ? C’est le secret du gouvernement, qui n’en fera part à personne pour une raison bien simple, c’est qu’il serait absurde de supposer le duc et la duchesse de Montpensier trempant dans des conspirations contre la reine. Ce qui reste en définitive de tout cela, c’est un acte audacieux tenté parle ministère pour se prémunir contre des changemens prochains et inévitables dont les signes se laissent suffisamment entrevoir à travers l’obscurité qui enveloppe les affaires d’Espagne.

Depuis quelque temps, au-delà des Pyrénées, il y a en dehors de toute conspiration un sentiment qui se fait jour, c’est une lassitude profonde