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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/518

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tous les intérêts, et demain peut-être déchaînera la guerre maudite, convertira ces plaines où mûrissent aujourd’hui de riches moissons en un champ de carnage, et lancera les uns sur les autres, comme des bêtes de proie, des peuples que le facile échange de leurs idées et de leurs produits devrait unir dans un lien fraternel.

On prétend que Napoléon a dit : « Le gouvernement qui le premier lèvera le drapeau des nationalités et s’en constituera le défenseur dominera l’Europe. » Espérons que le temps approche où il n’y aura plus en Europe que des peuples indépendans et libres, et que l’ère des dominateurs touche à sa fin ; mais, cela est certain, quiconque se met au service du principe nouveau réussit, et qui le combat succombe. On l’a bien vu en 1866. Comme tous les grands mouvemens qui puisent leur force dans le vœu des multitudes, ce principe porte en avant ceux qui le secondent ; il les grandit et leur assure la victoire. On peut le maudire, l’appeler une folie, comme le faisait récemment M. Thiers : rien n’en retarde la marche ; tout ce qui arrive tourne à son avantage et affaiblit ses ennemis. Essayez-vous de le comprimer, c’est alors seulement qu’il acquiert toute sa puissance et étend partout son empire. Plus on fait d’efforts pour le dompter, plus sa violence s’accroît. C’est le fait des révolutions générales ; rien ne peut les arrêter, et toute résistance les précipite. La question religieuse et la question sociale ne sont pas moins redoutables que celle des nationalités, et elles sont bien autrement difficiles à résoudre, mais leur travail est plus souterrain ; il échappe à nos yeux et ne nous menace pas de troubles aussi apparens, aussi prochains.

Que signifient ces deux mots vagues et peu corrects : « question des nationalités ? » On entend par là ce mouvement qui porte certaines populations ayant la même origine et la même langue, mais faisant partie d’états différens, à se réunir de façon à constituer un seul corps politique, une seule nation. Quand les divers essaims qui ont peuplé notre continent y sont entrés, — Ibères, Gaels, Hellènes, Germains, Slaves, — les hommes qui les composaient étaient réunis par la conformité de l’idiome, des mœurs, des traditions, de l’origine. Pour tous les peuples à l’état primitif, l’identité de race est la base de l’unité politique. Il en est ainsi, par exemple, chez les tribus d’Indiens de l’Amérique du Nord ; mais dès que les hommes s’attachent au sol par la propriété et par la culture, les guerres, les conquêtes, les émigrations, rassemblent sur un même territoire des populations de races différentes ou répartissent entre des souverains différens des populations du même sang. Cela s’est produit partout autrefois en Asie et en Europe. Aujourd’hui, dans certaines contrées, les hommes parlant le même idiome veulent se