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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/529

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bruyamment débattues par les savans allemands, les idées démocratiques répandues dans toute l’Europe par la révolution de juillet, avaient préparé le réveil de ce qu’on appelait alors l’illyrisme, parce que le siège de l’agitation était dans les anciennes provinces illyriennes constituées par Napoléon. Un journal croate parut en 1835 sous le nom de Novine Horvatzke. Une association de patriotes slavophiles s’était formée pour relever l’idiome maternel, le purifier, le cultiver. Ils adoptèrent pour langue littéraire le dialecte classique de Raguse, qui florissait dès le XIVe siècle, et avait servi à la composition de tragédies, de poèmes, d’idylles, dont bien peu ont échappé au tremblement de terre de 1667. Une société de lecture fut établie à Agram. De nombreux écrivains se firent un devoir patriotique de publier des brochures et des livres sur tous les sujets qui pouvaient intéresser leurs compatriotes. Le ban protégeait ce réveil littéraire, et le gouvernement autrichien ne s’y montrait pas hostile, car il espérait y trouver, conformément à sa politique traditionnelle, un moyen de contenir les Magyars. A la tête du mouvement illyrien se trouvaient deux hommes distingués, le comte Janco Draskowitch, riche magnat qui voulait défendre les traditions provinciales et l’autonomie du pays, et le poète Louis Gay, dont les espérances étaient plus vastes, et qui songeait à reconstituer l’empire serbe[1].

En 1843, la diète hongroise, ouverte par l’empereur François en personne, décida que la langue magyare devait être exclusivement employée à l’avenir non-seulement dans la diète, dans les comitats, dans les cours de justice, mais même dans les affaires communales et ecclésiastiques, comme l’enregistrement des actes de l’état civil. Cette décision excita l’indignation et la fureur de toutes les populations slaves du royaume. Déjà Kollár, le poète slovaque, avait proclamé l’idéal du panslavisme. Les Magyars, non contens de défendre leur nationalité contre les Allemands, prétendaient l’imposer aux races voisines. Eux, qui n’avaient à aucun prix voulu se laisser germaniser, prétendaient maintenant magyariser tous les autres.

A la diète de 1847, une nouvelle loi fut proposée, plus rigoureuse encore que la précédente : elle rendait le magyar obligatoire dans toutes les écoles du royaume, même dans celles des contrées slaves. Les Croates pouvaient se servir du latin pendant six ans encore ; après ce délai, le hongrois était la seule langue autorisée ; quanta l’illyrien, il était proscrit absolument de tout emploi public.

  1. On relira encore avez le plus grand intérêt les articles que M. Cyprien Robert a publiés dans la Revue sur le mouvement illyrien (livraisons du 1er novembre 1844 et du 1er novembre 1846).