Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/610

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que M. de Lebzeltern de traiter des affaires religieuses de France. Son choix s’était porté sur les cardinaux Spina et Caselli. Spina était archevêque de Gênes ; Caselli avait été créé sénateur. Tous deux avaient concouru, du côté du saint-siège, à la négociation du concordat. Italiens de naissance, ils étaient devenus Français par suite de l’annexion des provinces du nord de l’Italie à la France, et tous deux étaient également dévoués à l’empereur. Pour se rendre dans son diocèse de Gênes, Spina avait à passer à Savone ? il était tout simple qu’il fut accompagné de son compatriote et collègue Caselli ; quoi de plus naturel encore, s’ils s’arrêtaient pour présenter leurs hommages au saint-père ? Le public, pas plus que Pie VII lui-même, ne serait tenté de soupçonner qu’une semblable démarche servît à couvrir une première tentative de négociation. Ainsi les apparences seraient gardées, l’amour-propre serait sauf, et l’on aurait une nouvelle occasion de sonder les véritables dispositions du saint-père. Si l’empereur, était passé maître en ses habiles calculs, la candeur de Pie VII n’était pas ; on va le voir, sans un certain mélange de finesse italienne. « Les cardinaux sont arrivés ce matin, écrit M. de Chabrol. Ils se donnent comme n’étant chargés d’aucune mission officielle, et n’ayant conséquemment rien à traiter. Ils laissent cependant entrevoir qu’ils ne sont pas étrangers à la connaissance de quelques intentions manifestées par le gouvernement, et qu’ils ont eu une conférence à ce sujet avant leur départ de Paris. … Sa sainteté s’est montrée un peu plus gaie dans cette journée. Il est possible que l’arrivée des cardinaux en soit la cause. Cependant il a dit que les lettres écrites par leurs éminences à l’évêque de Savone et la manière dont ils s’annonçaient ne pronostiquaient rien de bien important, et qu’il s’en tenait à son idée, que les choses étaient loin de s’adoucir, et qu’alors même qu’on désirerait les terminer de part et d’autre, l’entreprise devenait chaque jour plus difficile[1]. »

Les deux anciens adversaires se regardaient donc ainsi venir avec une égale circonspection, et Pie VII devinant Napoléon, tenait à ne paraître point pressé d’entendre ce qu’on mettait si peu de hâte à lui dire. Les cardinaux n’obtinrent pas tout de suite l’honneur d’assister à ce que l’on appelait à Savone, suivant l’usage italien, à la conversation chez le pape ! » Ils n’eurent pas non plus à leur première audience l’occasion de se louer beaucoup de l’accueil de sa sainteté. « Pie VII n’entra avec eux dans aucun détail, écrit le préfet de Montenotte, et ne leur adressa aucune question. Il se plaignit seulement des affaires de Rome plus vivement qu’il n’avait fait jusqu’alors[2]. » M. de Chabrol, étonné de cette

  1. Lettre de M. de Chabrol à M. Bigot de Préameneu, 5 juillet 1810.
  2. Ibid.